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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/671

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genre qui ne soient paysagistes, en revanche, il y a encore bien des paysagistes qui ne sont pas peintres de figures. C’est même un des signes de notre temps que la nature extérieure, toute seule, sans la présence de l’homme, suffit à nous intéresser et à nous émouvoir. Les plus beaux paysages de celle année, les plus caïmans ou les plus expressifs, sont aussi des paysages nus et déserts, sinon silencieux, et dans lesquels nul passant ne vient troubler le rêve où il a plu à l’artiste de nous faire entrer. Il en est de charmans, parmi ces paysages, il en est aussi de beaux ; je compterais parmi les beaux, et les très beaux : aux Champs-Elysées, les Bords de la Sèvre nantaise à Clisson, par M. Harpignies qui n’a jamais donné une plus ferme allure à ses robustes arbres, ni une clarté plus sereine et plus profonde à son ciel reposé ; au Champ-de-Mars, deux ou trois toiles de M. Cazin qui sont des chefs-d’œuvre pour la douceur pénétrante de l’impression et la délicate perfection de l’exécution. Quant aux charmans, aux intéressans, soit par la sincérité de l’exécution, soit par l’exactitude de la représentation, quelquefois par les deux qualités à la fois, ils sont presque innombrables. Les dimensions ne font rien à l’affaire, ou plutôt ceux qui savent s’enfermer en de petits cadres ont toute chance d’y mieux concentrer et fixer leurs sensations. Que gagneraient, par exemple, ces exquis notateurs de nuances lumineuses, l’un dans le clair, le vif, le gai, l’autre dans le gris et le mélancolique, M. Boudin, l’explorateur des cotes ensoleillées, de Provence en hiver et de Normandie en été, M. Billot te, le contemplateur des banlieues misérables aux lueurs crépusculaires, à délayer leurs aimables confidences dans de plus grands vases ? M. Victor Binet, M. Barau, M. Iwill, dont la sensibilité est très aiguisée, la vision délicate, la facture minutieuse, un peu pointillée, martelée ou flottante, ne montrent-ils pas mieux leur originalité quand ils ont la prudence de la contenir ? Un de leurs aînés, M. Damoye, qui, trop souvent, avait dispersé, dans de grandes toiles pétillantes mais un peu vides, un esprit d’observateur et un sentiment de coloriste très remarquables, s’est réduit, cette année, à de plus sages proportions ; voit-on que cela lui ait porté malheur ? Qui sait si les panoramas provençaux de MM. Montenard et Dauphin, toujours si brillamment ensoleillés, mais souvent flottans comme des fragmens de décor, ne prendraient pas plus de solidité et de chaleur en se ramassant un peu ?

La folie des vastes toiles, si dangereuses et si inutiles, à moins d’une destination spéciale et décorative, pour les paysagistes, paraît donc enrayée. C’est déjà bien beau de savoir remplir, d’un bout à l’autre, sans y laisser trop de vides pour l’œil et trop d’incertitudes pour le souvenir, des cadres d’un ou deux mètres carrés,