n’est absent jamais. Je vous le dis du fond de mon cœur. Je me reporte vers vous avec un sentiment qui est doux, qui est pur, qui est plein. Cela est rare ici-bas, parce que quelque chose manque presque toujours dans les affections, et ce vide entremêlé fait beaucoup souffrir. J’ai bien peu rencontré d’âmes qui ne causent pas de souffrances. Mes amis sont aux vêpres, à la cathédrale. Je vous écris seul, mais ils vont revenir, heureusement pour moi, pour que je ne vous écrive pas avec trop d’attendrissement ce que je voulais vous dire. Dites bien à votre mari que je le regarde comme un ami, malgré la différence de nos âges, et que, quoi que la Providence fasse de moi, les jours que j’ai passés chez lui se représenteront toujours à ma pensée. »
Lacordaire passa l’année de son noviciat près de Viterbe, au couvent de la Quercia, dont il adresse à Mme de V... une jolie description. Pendant toute cette année, la correspondance fut entre eux très régulière, une lettre toutes les trois semaines environ. Dans toutes ces lettres, Lacordaire prend un soin évident de dissiper les préventions et les appréhensions de son amie. « J’espère, lui écrit-il, que l’habit de saint Dominique me rendra plus saint, mais non pas moins attaché à votre personne. » Dans une autre lettre, il lui expose en détail les obligations de sa vie monastique, et il cherche à la réconcilier avec les rigueurs de la règle dominicaine. « C’est une vie de chanoine, lui écrit-il. Vous vouliez à toute force que je fusse chanoine ; vous voyez que j’ai tout juste accompli vos vœux. »
On sent bien cependant, à travers ces lettres, que Mme de V... demeure rebelle. Une crainte la domine : c’est que l’Ordre de Saint-Dominique n’absorbe Lacordaire et ne le retienne en Italie. Elle n’a qu’une pensée : son retour à Paris. Aussi se trouve-t-elle entraînée à travailler, en quelque sorte malgré elle, au rétablissement de l’Ordre en France. Elle s’occupe de l’achat d’une maison, à Charonne, qui pourrait devenir le siège d’un premier couvent. Ce projet ayant échoué, elle voudrait que Lacordaire accepte une chaire à la Sorbonne que M. Cousin aurait été, à ce qu’il paraît, disposé à lui offrir. Il faut que Lacordaire lui explique longuement qu’ayant attaqué avec une extrême vivacité le monopole universitaire, il serait peu honorable pour lui de profiter de ce monopole. Elle s’attache alors à une autre idée. L’archevêque de Paris étant à toute extrémité, elle presse Lacordaire de se mettre sur les rangs pour lui succéder. Et le futur Dominicain de lui répondre cette lettre assez verte : « Le vœu que vous formez de me voir parmi les prétendans est, n’en déplaise à votre intelligente amitié, un vœu qui me coûterait bien cher