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26 mai. Personne n’a oublié les circonstances assez étranges qui ont imposé cette agitation au pays, après une suspension de la vie parlementaire prolongée pendant plusieurs mois. Il devient assez rare, chez nos voisins, qu’une Chambre atteigne le terme normal de son mandat ; et si, depuis le 16 mai, nous n’usons pas assez du droit de dissolution, eux, au contraire, en usent trop. Il est vrai que l’épreuve réussit toujours au ministère, au moins sur le premier moment, ce qui encourage à recommencer : mais le fait même qu’on recommence sans cesse montre le peu de solidité des majorités qui sortent des élections. Ministérielles la veille du vote, elles changent de caractère le lendemain. C’est ce qui est arrivé à M. Crispi à la fin de l’année 1890 et au commencement de 1891. Il avait dissous la Chambre le 23 novembre, et il a été renversé du pouvoir le 31 janvier. La majorité que les élections lui avaient envoyée était-elle faible par le nombre ? Non certes, car elle n’était pas composée de moins de 410 députés. L’opposition monarchique (parti Nicotera) avait 40 sièges, les radicaux 37 et les indépendans 9. Quand ces résultats ont été connus en Europe, tout le monde y a cru que M. Crispi était consolidé pour longtemps, et c’est ce qui serait arrivé partout ailleurs ; mais, en Italie, les élections ne prouvent pas grand’chose. Beaucoup de députés acceptent ou même sollicitent l’estampille officielle, soit pour être élus, soit pour faire une campagne plus facile, sans se croire obligés à conserver au ministère une fidélité qui reste toujours à la merci des événemens. Une fois les validations faites, ils reprennent fièrement leur indépendance. Dès le lendemain des élections de 1890, on s’aperçut que les difficultés de la veille n’avaient rien perdu de leur acuité, bien au contraire, et M. Crispi est tombé deux mois plus tard, au milieu d’un tumulte parlementaire sans exemple jusqu’alors. Peu de temps après, M. Giolitti a été la victime d’une aventure du même genre, bien que la distance entre le Capitole et la Roche tarpéienne ait été pour lui un peu plus longue. Le caractère constant des élections italiennes est de donner la majorité au gouvernement, mais sans la lui garantir.

A la suite du dépôt sur le bureau de la Chambre du dossier Giolitti, M. Crispi a suspendu les séances du Parlement : on a compris tout de suite que la prorogation n’était que la préface de la dissolution. Mais pourquoi dissoudre la Chambre ? Est-ce qu’il n’y avait pas, au moins jusqu’à ce moment, une majorité gouvernementale ? Est-ce que les projets de loi que le ministère jugeait indispensables à la bonne marche des affaires n’étaient pas votés ? Est-ce que l’opposition était devenue encombrante et dangereuse au point de rendre difficile le fonctionnement des institutions parlementaires ? Non : tout était tranquille et calme, et le coup de foudre de M. Giolitti a éclaté dans un ciel qui paraissait serein. On chercherait vainement, en dehors de sa personne même, les motifs de la longue et pénible épreuve que