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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/755

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altéré par une contraction anxieuse ; il sentit qu’en cet instant l’âme de la pauvre femme se concentrait toute dans la paume de cette petite main.

— Ce n’est rien, dit-il.

Et il s’efforça de sourire en soufflant sur la plaie, pour faire illusion à l’enfant qui attendait le miracle. Puis il rebanda le doigt avec précaution. Il pensait de nouveau à l’étrange angoisse qui l’avait envahi dans l’escalier désert, au chien qu’on chassait, aux paroles du domestique, aux questions que lui avait suggérées une frayeur superstitieuse, à tout ce trouble sans cause.

Christine, remarquant qu’il était absorbé, lui demanda :

— À quoi penses-tu ?

— À rien.

Puis, tout à coup, sans réfléchir, sans autre intention que de dire une chose qui réveillerait l’attention de l’enfant déjà somnolent :

— Tu sais ? dit-il, j’ai rencontré un chien dans l’escalier…

L’enfant ouvrit de grands yeux.

— Un chien qui vient tous les soirs…

— Ah, oui ! dit Christine. Jean m’en avait parlé.

Mais elle s’interrompit à l’aspect des yeux dilatés et épouvantés de l’enfant, qui était sur le point d’éclater en sanglots.

— Non, Luchino, non, non, ce n’est pas vrai, reprit-elle en l’enlevant des genoux de George et en le serrant dans ses bras. Non, ce n’est pas vrai. Ton oncle dit cela pour rire.

— Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ! répéta George en se levant, bouleversé par ces pleurs tels qu’aucun autre enfant n’en pleurait, car ils semblaient ravager la pauvre créature.

— Allons, allons, disait la mère d’une voix câline, Luchino va se coucher, maintenant.

Elle passa dans la chambre contiguë, toujours caressant et berçant son fils en larmes.

— Viens avec nous, George.

Pendant qu’elle déshabillait l’enfant, George la regardait. Elle le déshabillait lentement, avec des précautions infinies, comme si elle eût craint de le briser ; et chacun de ses gestes mettait tristement à nu la misère de ces membres grêles où déjà commençaient à paraître les déformations d’un rachitisme incurable. Le cou était long et flexible comme une tige fanée ; le sternum, les côtes, les omoplates, presque visibles à travers la peau, faisaient une saillie qu’accentuait encore l’ombre répandue dans les parties creuses ; les genoux grossis semblaient noués ; le ventre un peu gonflé, au nombril saillant, faisait ressortir la maigreur anguleuse des hanches. Lorsque l’enfant souleva ses bras pour que sa mère