remarquablement brillans et doux. « Il parle peu, mais il dit tant du regard, » écrivait Eugénie de Guérin qui ne l’avait vu qu’une fois.
Cependant l’affection de Mme de V... demeurait toujours un peu inquiète et ombrageuse. Si, pendant ses fréquentes absences, Lacordaire restait trois semaines ou un mois sans lui écrire, elle se croyait oubliée, sacrifiée à des intérêts nouveaux. Elle se plaignait, et Lacordaire se montrait à son tour un peu froissé de ses plaintes : « Votre lettre du 30 janvier, chère bonne amie, lui écrivait-il de Bordeaux, m’a causé quelque peine. Il semble que notre amitié ne vieillit pas avec les années, et qu’elle soit toujours pour vous sujette au doute qui environne tout ce qui est nouveau. Parce que je ne vous écris pas juste au bout de trois semaines, parce que je reçois ici un bon accueil, voilà que vous m’accusez, dans votre cœur, de vous oublier, de sacrifier l’ancien au récent, d’être une feuille qui vole au premier vent venu. Est-il rien de plus injuste?... J’aurais donc le droit de récriminer contre vous ; mais j’aime mieux vous certifier de nouveau la réalité de mon attachement, non seulement créé par la reconnaissance, mais par un goût sincère pour votre cœur, par une estime très haute de vos facultés, par une sympathie générale. J’ai d’ailleurs été trop malheureux, en bien des rencontres, pour oublier jamais ceux qui m’ont alors aimé. Vous avez été l’une des trois ou quatre personnes qui m’ont encouragé et sauvé dans des temps difficiles ; plus mon existence se consolidera, si jamais elle doit se consolider, plus je me rappellerai avec tendresse ceux qui auront contribué, en me tendant la main dans les mauvais jours, à arriver enfin à la stabilité. Je manque assurément de bien des qualités ; mais je crois posséder jusqu’à la superstition la tendresse fidèle, le respect du passé, la mélancolie des souvenirs. Seulement je ne puis pas donner autant qu’un autre à la nature, à cause de tous mes devoirs, et j’avouerai aussi que j’éprouve une peine à votre occasion, c’est de vous voir rester si étrangère d’esprit aux œuvres de ma vie. Les œuvres d’un homme, c’est tout son être, toute son activité, toute son histoire. Elles peuvent être hasardeuses; elles ne doivent qu’inspirer par là plus d’intérêt. Je souffre donc assurément de voir une âme avec laquelle je suis aussi intime, se tenir à l’écart de mes desseins ; j’en souffre, mais comme d’une anomalie mystérieuse que je respecte, me plaignant moi-même d’avoir si peu de puissance pour persuader une personne que j’aime autant. Le jour où Dieu permettra que ce nuage disparaisse sera un des plus beaux jours de ma vie ; je le hâte de tous mes vœux, et, demeurât-il toujours, pourtant je ne