On parle beaucoup des croiseurs, aujourd’hui. Il est clair que ces navires reprennent faveur après avoir été longtemps sacrifiés aux cuirassés d’escadre. On devait s’attendre à ce retour de fortune : il y a une douzaine d’années, quelques marins s’avisèrent de trouver que la part faite à ce type dans notre flotte de guerre ne répondait pas à l’orientation qui résulterait bientôt pour la politique française de notre besoin d’expansion coloniale et de l’occupation de l’Egypte par l’Angleterre.
C’était de la haute prévoyance, qui ne fut ni goûtée par les uns, ni comprise par les autres. Si le mot de croisière évoqua dans le gros du public le souvenir toujours vivace des Jean Bart, des Duguay-Trouin, des Surcouf, les partisans du statu quo maritime et ceux de l’effacement à l’extérieur s’accordèrent pour accabler les croiseurs en mettant à leur passif certain exclusivisme, certaines exagérations de langage de l’école qui les prônait.
Douze années, c’est bien le temps qu’il faut pour qu’une idée juste s’insinue dans les esprits. C’est surtout le délai qui permet d’oublier celui qui l’a émise, condition du succès de l’idée elle-même chez un peuple et à une époque où les amours-propres surexcités prennent si volontiers la forme de l’envie. Du reste de graves incidens se succédaient dans cette période, justifiant les prévisions du petit groupe dont nous parlions tout à l’heure et créant dans l’opinion publique un état d’esprit peu favorable à la puissance européenne à laquelle nous nous heurtions sur tous les points du globe.
L’attention des militaires et des politiques se porta dès lors