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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/788

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côtes que l’on est assuré de trouver le plus de navires marchands ?

Sans doute. Mais il faut penser aussi aux moyens dont dispose l’adversaire pour protéger ses paquebots ; et ces moyens, d’après une loi générale que nous ne nous arrêterons pas à démontrer, ont une efficacité d’autant plus grande qu’ils sont mis en jeu sur un théâtre plus rapproché.

Pour ne parler que de l’Angleterre, cette puissance aura, en 1895, 70 croiseurs de 2 500 à 14 000 tonnes, avec des vitesses de 18 à 23 nœuds. Supposons la moitié seulement de ces navires groupés sur l’aire relativement restreinte qui s’étend du cap Finisterre au débouché du canal de Saint-Georges. Comment nos propres croiseurs, beaucoup moins nombreux, réussiraient-ils à s’acquitter de leur mission ?

À cette difficulté on (impose un remède : donnons aux nôtres, disent quelques officiers, une valeur militaire qui assure à chacun d’eux au moins l’égalité des forces dans une rencontre individuelle.

Mais, en admettant que l’issue de ce duel fût favorable à notre croiseur, il est clair qu’il aurait reçu de graves avaries et qu’il se verrait contraint de rentrer au port le plus proche. Ou bien, s’il se décidait à rester à la mer, il serait affaibli de telle sorte qu’une deuxième rencontre, inévitable à bref délai, lui deviendrait funeste. De toute façon, le but poursuivi, la capture des paquebots, serait radicalement manqué.

C’est d’ailleurs ce qui se passait il y a quatre-vingts ans, et l’historien maritime Chabaud-Arnault le met fort bien en lumière : « Quand un croiseur anglais, écrit-il, rencontrait un des nôtres, il était presque certain de voir paraître, souvent pendant le combat, tout au moins peu de jours, ou même peu d’heures après, un ou plusieurs de ses compatriotes. Le navire français ne pouvait nourrir semblable espoir : vaincu, il ne devait compter sur aucun secours ; vainqueur, mais forcément affaibli par la lutte, il avait bien des chances de devenir, à son tour, la proie d’un nouvel ennemi. »

Pas plus qu’à l’époque de nos grandes guerres maritimes, la supériorité numérique de l’ennemi ne nous permettrait aujourd’hui d’établir nos croisières dans le voisinage des côtes d’Europe. Il faut donc fixer à nos batteurs d’estrade des théâtres d’opérations plus éloignés et plus vastes à la fois, où il leur soit facile d’échapper à leurs adversaires dispersant leurs efforts sur des aires très étendues.

Est-ce à dire que nous renoncions aux captures que nous