Cette flotte, dont il vient d’observer la concentration et l’armement, elle est prête, elle appareille, elle prend une ligne d’opérations tracée en vue d’un objectif défini.
Dès lors il importe que le commandant en chef de nos forces navales soit prévenu de son départ et, sinon de l’objectif précis qu’elle recherche, — cette indication serait prématurée, — du moins de la direction qu’elle poursuit. Or, pour éviter de se laisser leurrer par une feinte de l’amiral ennemi, par une fausse route tenue jusqu’à la nuit close, il faut que notre observateur s’attache aux pas de l’adversaire et ne le quitte que lorsqu’il aura la certitude que celui-ci a pris sa ligne d’opérations définitive.
Mais comment acquérir cette certitude ? — Et jusqu’où faudra-t-il aller pour cela ? — Telles circonstances se produiront où, pour n’avoir pas attendu quelques heures de plus, on donnera un renseignement erroné, dont les conséquences peuvent être fort graves. Villeneuve sort de Toulon, le 30 mars 1805, avec ses onze vaisseaux. Il fait route à peu près au Sud. Les frégates de Nelson se hâtent d’aller prévenir celui-ci à la Maddalena : évidemment, disent les capitaines, l’escadre française va dans le Levant… Nelson appareille aussitôt, en pleine nuit, par un temps affreux, et court se poster entre la Sardaigne et l’Afrique pour y guetter son adversaire. Plusieurs jours se passent et rien ne vient. Plein de doutes et d’anxiétés l’amiral anglais se décide à faire une course rapide dans la Méditerranée orientale ; mais personne n’y a vu l’escadre française, personne n’en a entendu parler ! Nelson revient sur ses pas en forçant de voiles, arrive à Gibraltar et y apprend que Villeneuve a franchi le détroit. Où est-il allé ? — Est-il remonté dans le Nord, vers la Manche, et dans ce cas Cornwallis, qui bloque Brest, est bien menacé ; ou bien a-t-il fait route sur les Antilles ?
Qui pourra le dire ? Les frégates de l’amiral Orde, qui gardaient le détroit ? mais non… elles non plus n’ont pas suivi l’ennemi assez loin. Et Nelson se plaint amèrement à l’amirauté, tout en s’accusant lui-même : trop peu de bâtimens légers, trop peu d’avisos, et ceux que l’on a n’ont pas assez d’initiative, ne sont ni assez tenaces, ni assez clairvoyans !…
De ceci, que résulte-t-il ? — Que ce n’est pas avec un seul éclaireur, si rapide qu’on le suppose, si habile que soit son capitaine, que l’on peut pourvoir à la surveillance de la flotte ennemie. Il y faut un groupe de bâtimens qui se détacheront les uns après les autres pour aviser le commandant en chef des routes successives de l’adversaire. Inutile, bien entendu, de