comme la morale de bien des gens. » Le middleman demande : « Votre frère a-t-il des répondans ? — Oui, notre père et notre grand-père. — Où demeurent-ils ? — Au cimetière. Allez-y et les morts vous diront : Nous avons vécu soixante ans sur cette ferme ; nous avons tout payé, taxes, impôts, dîmes et fermages. Quand nous sommes partis, nous ne devions rien à personne. En mémoire de nous, donnez quelque répit à notre fils, à notre petit-fils que la sécheresse et l’épizootie ont ruiné. » Le middleman n’est pas homme à être touché par des prosopopées de maître d’école ; il ne répond que par un seul mot, monotone, inexorable : « Mes comptes, il faut que j’arrête mes comptes ! » Autour de lui, au second plan, les instrumens de ce tyran subalterne : le bedeau auquel un jeune écrivain, perdu dans la tribune des reporters au parlement, et qui a nom Charles Dickens, réserve une terrible volée de bois vert ; l’appraiser, sorte de factotum qui tient le milieu entre l’huissier, l’arpenteur et le marchand de biens. Les abus ont leur destin : le bedeau a disparu, mais son compère a prospéré, il s’est déguisé en homme de progrès, en fils de ses œuvres, en je ne sais quoi de démocratique et de populaire, et il mène grand bruit aux jours d’élections. Aujourd’hui il crie contre la Chambre des lords ; dans ce temps-là, il exécutait des évictions, avec une rare maestria, pour le bénéfice des jeunes squires qui avaient perdu au jeu. Le premier acte du Rent-Day se termine par un spectacle de ce genre. Nous voyons saisir le lit du paysan, jusqu’au joujou de l’enfant, jusqu’à la cage de l’oiseau. La scène suit son cours : prières, imprécations, menaces ; puis la désolation et le silence. C’est ainsi que se posait alors la question sociale. Si nous avions été là avec des âmes de vingt ans, — nous qui avons à combattre les petits-fils des victimes, devenus à leur tour des maîtres forcenés, — nous aurions applaudi avec tout le parterre de Jerrold.
Ce premier acte fait espérer une vigoureuse comédie de mœurs, mais nous tombons très vite dans un épais mélodrame, surchargé d’incidens absurdes et de folles surprises. Est-ce la faute de Jerrold ou celle de son public qui réclamait obstinément de grosses farces et de gros crimes ? Je penche pour la seconde hypothèse, car l’offre est réglée par la demande : axiome de boutique qui se résout en une grande loi naturelle et hautement scientifique. Jerrold savait avoir, au besoin, la touche réaliste et la main légère : il l’a prouvé dans le Prisoner of War. La scène se passe en France peu après la rupture de la paix d’Amiens. Très impartialement et très spirituellement, Jerrold se moque du chauvinisme des deux nations. Il ne confond pas la