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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/868

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caractères humains se substituaient sept ou huit « emplois » que, souvent, on précisait et on circonscrivait encore en y attachant le nom d’un acteur. C’étaient le low comedian et le light comedian, le villain et le heavy man. Toutes les variétés féminines devaient rentrer dans un de ces quatre compartimens étiquetés, en français : l’ingénue, la coquette, la duègne et la soubrette. Le valet de comédie était devenu un intendant fripon dont la coquinerie prenait des teintes de drame. Il y avait deux ou trois types de vieillards : le vieillard bourru, en qui l’auteur épanche sa bile et qui rédige des testamens excentriques ; le vieux beau, cynique et poltron, qui, au dernier acte, marie sa fiancée à son propre fils et jure de se corriger ; enfin, le vieux paysan qui descend en droite ligne du père de Paméla. On le reconnaît à la mention fréquente qu’il fait de ses cheveux blancs, à son mépris pour l’or et à cette phrase qu’il adresse au voyageur égaré ou surpris par l’orage : « Soyez le bienvenu dans ma pauvre demeure. » Ce paysan, est-il besoin de le dire ? n’a jamais existé. Sur le théâtre, il a vécu plus d’un siècle. Egalement indispensable à la comédie ou au drame est le « capitaine », le man about town, avec un habit lie de vin, un gros diamant à la cravate, des culottes saumon et des bottes à revers qu’il fouette incessamment du bout de sa canne. Il représente l’égoïsme, la sottise et l’insolence des hautes classes, telles que peut les imaginer un homme qui n’a jamais mis le pied dans un salon. Connût-il à merveille la société, cet homme ne la peindrait pas. Il ne peint jamais d’après nature : il copie, lui millième, ses vieux modèles, Sheridan et Goldsmith, ou ses nouveaux maîtres, Scribe et d’Ennery.

C’est à la critique, pensera-t-on, qu’il appartenait de l’aire l’éducation du public, des artistes et des écrivains. J’ai presque honte de dire où en était alors tombée la critique dramatique. Un paragraphe dans un coin obscur, un quart de colonne pour les œuvres de première importance, voilà ce que les grands journaux accordaient alors au théâtre. La critique dramatique était une besogne nocturne, pas très bien famée, qui répugnait aux gens rangés et aux hommes mariés. On la confiait à un débutant qui espérait, par sa bonne conduite, recevoir un peu d’avancement et s’élever jusqu’au compte rendu de la police court. Le même homme « faisait » le drame et l’opéra. La critique dramatique et la critique musicale, par les dons naturels qu’elles exigent, par la méthode, par la technique, sont des métiers absolument différens. Qu’importait, puisqu’on ne demandait à l’écrivain que de dire du bien des pièces et des acteurs en tâchant de ne pas être trop ennuyeux.