doucement inspiré : « Lorsque vous serez à Lisbonne, mon ami, vous verrez, au milieu du Tage, un fort de grandes dimensions et de construction moderne, formidable s’il était besoin de défendre la passe, mais que la longue paix a livré aux fleurs. Elles couvrent les glacis, elles s’épanouissent autour des embrasures. Un jour, un navire étranger étant entré sans faire les saluts d’usage, un coup de canon fut tiré du fort. Et nul ne sait s’il partit un boulet, mais des bandes d’oiseaux s’envolèrent, et la rade fut jonchée de tant de milliers de pétales de roses, et de jasmins, et de feuilles flottantes, qu’elle ressemblait à un jardin. » Mon ami s’était trompé. Il n’y a aucune forteresse pareille à Lisbonne, mais l’image éveillée par sa légende poétique n’a rien que de très vrai: un climat délicieux, une terre heureuse et la douceur de vivre.
Il est presque trop grand, cet enchantement de la vie. Il incline vers l’absolu far niente un peuple qui serait riche avec peu de travail. Un brave homme de Portugais, qui vient de me faire une visite matinale, m’a dit: « Notre pays est comme divisé en deux parties qui diffèrent de mœurs autant que d’aspect. Le nord est tout verdoyant, cultivé, planté de vignes, commerçant, laborieux. La province d’entre Minho et Douro, monsieur ! on jurerait voir un paradis terrestre ! Mais le sud, et le sud commence, hélas ! avant Lisbonne, un peu au-dessous de Coïmbre, quel abandon, et souvent quelle désolation ! Le nord mange la soupe aux choux et aux herbes ; le sud mange la soupe aux oignons et à l’ail : symboles des deux couleurs de la terre, verte là-haut, et rousse en bas. Rien n’égale la tristesse des plaines de l’Alemtejo : n’y allez pas ! Mais ici même, dans nos rues, voyez le nombre des gens qui ne font rien. La grande affaire est de se faufiler dans une administration, et le moyen de forcer la porte, c’est de faire de l’opposition. Dès l’âge de quinze ans, nos petits jeunes gens débutent dans les journaux. On a le droit de tout dire. Vie publique, vie privée, rien ni personne n’est à l’abri. Lin jour ou l’autre, quand ils deviennent gênans, on leur trouve un emploi public. Ah ! monsieur, la belle armée d’employés que nous avons ! mais le beau pays que nous aurions sans eux ! »
Dès que je suis dans la rue, je cherche le marché, coin toujours pittoresque dans les villes du Midi. Je ne sais pas la route, mais je n’ai qu’à suivre un de ces paysans chaussés de grandes bottes et coiffés du bonnet de laine verte. J’arrive ainsi dans une halle qu’annoncent de loin la rumeur confuse des voix et l’odeur des fruits mûrs. Tous les types populaires sont là : des têtes jaunes comme des concombres, d’autres couleur de terre,