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idées de Descartes, réaction si activement poussée en métaphysique et en dynamique par Leibniz, en mécanique céleste et en optique par Newton ; la tourmente emportait la réduction de la substance matérielle à l’étendue en même temps que la conservation de la quantité de mouvement, l’explication de la pesanteur par les tourbillons en même temps que la théorie ondulatoire de la lumière ; dans cette tourmente, disparut aussi l’hypothèse cartésienne sur la nature de la chaleur. On admit que la chaleur était un fluide.

Ce fluide se distingue de tous les autres corps connus en ce qu’il est privé de poids ; la chaleur, en pénétrant dans un corps, ne le rend pas plus lourd ; en le quittant, elle ne le rend pas plus léger ; si un métal calciné augmente de poids, ce n’est pas parce qu’il emmagasine de la chaleur ; c’est parce que l’oxygène de l’air se combine au métal échauffé ; dès 1772, ce point est établi par Lavoisier d’une manière définitive.

S’il est dénué de pesanteur, le fluide calorifique possède, du moins, toutes les autres propriétés essentielles des corps ; mis en présence d’un autre corps, il peut le pénétrer en tout sens, s’y mélanger à la façon d’un menstrue, sans entrer en combinaison avec lui ; il peut aussi s’y combiner comme un acide se combine avec un alcali.

Lorsqu’on fait pénétrer dans un corps une certaine quantité de chaleur, une partie de cette chaleur demeure à l’état de liberté ; elle se répand dans les intervalles que laissent entre elles les molécules matérielles, comme un gaz se répand dans les méats d’un corps poreux ; comme un gaz, cette chaleur libre est douée de tension ; c’est cette tension qui écarte les molécules des corps pondérables, de façon à dilater ces corps ; c’est la valeur plus ou moins grande de cette tension que dénote l’ascension plus ou moins grande du mercure dans le thermomètre, qu’accuse le degré plus ou moins élevé de la température ; c’est cette tension qui agit sur nos organes et produit la sensation de chaud. Cette tension exerce sur les corps des effets semblables à ceux que produit la pression d’un gaz ; selon Montgolfier, dont Prévost nous rapporte l’opinion, lorsque la poudre s’enflamme dans l’âme d’un canon, la grande quantité de chaleur qui se dégage subitement unit sa tension à la pression des gaz mis en liberté pour chasser violemment le boulet hors de la pièce.

Une autre partie de la chaleur qui pénètre dans un corps se combine aux molécules qui composent ce corps ; cette dernière partie perd sa tension en se combinant, de même que l’oxygène perd sa tension en s’unissant à un métal ; étant privée de tension,