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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/92

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hautes, très serrées, s’enlèvent en teintes vives entre l’eau et le ciel. Elles sont rarement blanches, souvent roses, bleues, lilas, jaunes ou même grenat. Sur la première ligne de cette mosaïque, qui flambe en plein soleil, les mâts de navire pointent, comme une moisson d’herbes sèches.

Et tout à coup, juste au milieu de la ville, en face de la place du Commerce, où, le premier soir, j’ai vu ce beau clair d’étoiles, la falaise s’arrête, et le Tage se répand dans une baie d’une admirable courbe, aux horizons très plats, très doux, avec de vagues silhouettes de palmiers et de pins. Nous gouvernons droit sur le fond de cette rade lumineuse, que pas une ride ne ternit. En regardant vers l’ouest, et tout à fait dans le lointain, j’en découvre une seconde, plus étendue encore, paraît-il, appelée la Mer de paille, — mar de pailha, — et l’ingénieur, M. Maury, m’explique que la grande masse d’eau emmagasinée par la marée dans ces deux réservoirs, drague et creuse, en s’écoulant deux fois le jour, la partie plus étroite du fleuve qui s’en va vers la mer, et entretient, sans frais pour le trésor, un chenal de quarante mètres de profondeur. Des pécheurs tirent, sur la grève, un filet dont les lièges semblent en mousse d’argent. L’équipage d’une baleinière de la marine portugaise, peu pressé, nageant avec lenteur, pour le plaisir, nous hèle gaîment au passage. Nous descendons sur les marches boueuses d’un grand escalier de pierre, débarcadère d’une petite résidence royale, un peu abandonnée, cachée à l’extrémité de la baie. Les jardins qui l’enveloppent sont pleins d’arbres étranges. Nous traversons une charmille de buis haute de plus de six pieds, où les brins d’herbe, depuis longtemps, n’ont pas été foulés, et nous montons, par un raidillon sablonneux et croulant, au sommet d’un monticule ombragé de pins parasols. Vue de là, Lisbonne est encore plus belle. La mosaïque a disparu, et la ville apparaît, vaporeuse, divisée en trois blocs pâles par les failles profondes qui coupent ses collines. Un seul nuage allongé, tordu comme une fumée, s’est arrêté au-dessus d’elle, et, chauffé par le soleil, éclaboussé par les reflets du fleuve et de la ville, se désagrège et se disperse en minces flocons d’or.


DEUX AUDIENCES


12 octobre.

J’ai été reçu hier par le roi à Lisbonne, et aujourd’hui par la reine, au château de Cascaes.

Le roi, venu pour la journée à Lisbonne, donnait audience