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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/940

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Allemands, les choses ne se passeraient pas de cette manière. Mais, comme vous le savez, l’Allemand est tranquille, patient, ami de l’ordre, peu enclin aux révolutions. Encore ne faut-il point le pousser à l’extrême. »

Et comme pour donner une preuve de cette humeur paisible qu’il attribue à ses compatriotes, Reinhard, au même moment, s’occupe de contraindre son ami Gœthe à entrer en relations avec Boisserée, un élève des Schlegel, qui veut obtenir l’appui du poète d’Iphigénie pour son projet d’achèvement de la cathédrale de Cologne. Difficile entreprise, d’intéresser à un tel projet l’ennemi le plus résolu de l’art du moyen âge : mais Reinhard y parvient, à force de bonhomie, de patience et d’obstination, et peut-être est-ce là le plus beau trait de sa carrière diplomatique.

En bon fonctionnaire, Reinhard servit le roi Jérôme aussi longtemps qu’il fut roi, et l’empereur Napoléon jusqu’à la fin de l’Empire. Il hésita quelque temps, en 1814, avant de se décider à servir Louis XVIII. Ses amis allemands, qui étaient venus en grand nombre à Paris avec les armées alliées, l’engageaient vivement à rentrer en Allemagne, et lui-même y était assez disposé, à en juger par ses lettres à son neveu Sieveking : « J’ai reconquis ma liberté, disait-il, et de nouveau maintenant j’appartiens à mon pays. » Mais les insistances de son ami Talleyrand l’emportèrent enfin sur celles de ses amis d’outre-Rhin. En échange d’un titre de comte, et d’une place au Conseil d’État, il offrit à la monarchie française son dévouement tout entier ; et c’est à Paris qu’est mort, en 1837, pair de France et membre de l’Institut, cet excellent serviteur.


T. DE WYZEWA.