par là qu’il est arrivé à la littérature et de là que procède son esthétique. Ce qu’il se propose en effet c’est de trouver « dans le domaine général du progrès humain, dans les acquêts de la science et de la philosophie des élémens de beauté plus complexes, plus en rapport avec les développemens d’une haute civilisation. » Il croit « que les grandes découvertes de notre fin de siècle sont susceptibles au plus haut degré d’être transmuées en matériaux littéraires. » Dégager de l’œuvre scientifique de ce siècle les élémens de littérature qu’elle contient, telle est la tâche qu’il s’est assignée et à laquelle il essaie de plier la forme du roman.
Comme ses théories littéraires, ses théories morales sont aussi bien à base de science. Cette base solide est ce qui manque à la morale chrétienne : aussi faut-il se détourner résolument d’un idéal qui a fait son temps. Il ne faut plus faire résider la vertu dans l’humilité. L’idéal nouveau doit procéder d’une notion plus complexe de la vie et de l’évolution. L’évangélisme doit être remplacé par une forme plus rationnelle de l’altruisme. Dans cette morale complète, le bien doit être un moyen pour développer plus pleinement les êtres supérieurs. Les idées d’intelligence, de force, de lutte y entrent dans l’idée même de bonté. A la conception abstraite d’un bien absolu succède celle d’un bien organique, expérimental, en voie de formation. Telle est la « morale d’espèce » qu’essaie de créer la philosophie contemporaine. Cette morale indépendante des dogmes, élaborée hors des sanctuaires, a pourtant son enthousiasme sacré : « Avec ses mysticismes, ses beaux et subtils moyens, ses récompenses, son harmonie supérieure, la bonté tentera les forts esprits de notre époque et s’imposera aux médiocres. Impérieuse, elle ne sortira pas d’une épouvante hiératique ni d’un nihilisme de vaincus, elle ne prêchera pas l’anéantissement des bons au profit des méchans, elle n’admettra pas plus ici-bas que là-haut la victoire des mauvais ; elle sera stoïque pour la joie hautaine du stoïcisme, modeste pour les souples puissances de la modestie, mais toujours active, créatrice, dominatrice, heureuse… » Sans rien devoir à aucune religion, elle sera en elle-même une religion. Seulement, au lieu de situer son paradis dans un au-delà, dans quelque région supra-terrestre, en dehors de la vie, elle le placera dans la progressive amélioration de cette vie. Au culte d’un Dieu elle substituera le culte de la Bonne Humanité.
Il y a dans tout cela bien du fatras. Je n’ai pas à faire le jour dans ces ténèbres. Et j’ai d’autant moins à discuter ces idées, qu’elles n’appartiennent pas à M. Rosny. Il les a récoltées au cours de ses lectures. Au surplus, en art, les théories n’importent qu’autant qu’elles sont le support des œuvres. De même en passant par les âmes les doctrines se teintent de nuances différentes. La science elle-même se plie aux interprétations les plus opposées ; suivant le penchant de notre nature et l’inclination