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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/114

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et suaves affinaient ses sensations, enlevaient à son désir l’impureté, lui donnaient une émotion d’amour presque chaste, lui exaltaient l’âme.

Il dit, en ôtant la longue épingle qui attachait le chapeau et le voile :

— Comme tu dois être fatiguée, ma pauvre Hippolyte ! Tu es pâle, pâle !

Elle avait le voile relevé sur le front ; elle avait encore son manteau de voyage et ses gants. Il ôta le voile et le chapeau, d’un geste qui lui était familier. La belle tête brune apparut, libre, avec cette coiffure simple qui faisait des cheveux une sorte de casque adhérent, sans altérer la ligne svelte et élégante de l’occiput, sans rien cacher de la nuque.

Elle portait une gorgerette de dentelle blanche et un petit ruban de velours noir qui tranchait avec une violence exquise sur la pâleur de la peau. L’ouverture du manteau laissait voir la robe de drap aux fines rayures blanches et noires, fondues en un ton gris : la robe d’Albano, mémorable. Elle répandait un faible parfum de violettes, le parfum connu.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Hippolyte se détacha et dit :

— Maintenant, je te laisse : où est… ma chambre ? Oh ! George, comme nous serons bien ici !

Elle promenait les regards autour d’elle, souriante. Elle fit quelques pas vers le seuil, se pencha pour ramasser une poignée de genêts, en aspira le parfum avec une volupté visible. Elle se sentait encore tout émue et comme enivrée de cet hommage souverain, de cette fraîche gloire que George avait répandue sur sa route. Ne rêvait-elle pas ? Était-ce elle-même, était-ce vraiment Hippolyte Sanzio qui, dans ce lieu inconnu, dans ce paysage magique, se trouvait entourée et glorifiée par toute cette poésie ?

Soudain, avec de nouvelles larmes dans les yeux, elle jeta les bras au cou de son amant et dit :

— Comme je te suis reconnaissante !

Cette poésie lui enivrait le cœur. Elle se sentait soulever au-dessus de son humble existence par l’idéale apothéose dont l’enveloppait son amant ; elle se sentait vivre d’une autre vie, d’une vie supérieure, qui par momens lui donnait à l’âme cette sorte de suffocation que le vent du large provoque dans une poitrine habituée à respirer un air appauvri.

— Comme je suis fière de t’appartenir ! Tu es mon orgueil. Une seule minute passée près de toi suffit pour que je me sente une autre femme, absolument autre. Tu me communiques tout à coup