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sans intermittence ; j’imaginerai mille façons neuves de lui plaire, de la troubler, de l’attrister, de l’exalter ; je la pénétrerai si bien de moi qu’elle finira par me croire un élément essentiel de sa propre vie. »

Il se pencha vers elle, doucement ; il lui posa doucement un baiser sur l’épaule, à l’attache du bras. En regardant de très près dormir cette créature délicate et compliquée que le sommeil enveloppait d’un mystère, cette étrange créature qui, par tous les pores, semblait irradier vers lui quelque occulte fascination d’une incroyable intensité, il remarqua encore une fois au fond de lui-même un vague mouvement instinctif de terreur.

De nouveau Hippolyte changea d’attitude, sans s’éveiller, mais avec une plainte faible. Elle s’étendit sur le dos. Une sueur légère lui mettait de la moiteur aux tempes ; de sa bouche mi-close la respiration sortait plus rapide, un peu irrégulière ; ses sourcils avaient par momens une contraction. Elle rêvait. — Que rêvait-elle ?

George, envahi par une inquiétude, qui s’accrut bientôt jusqu’au trouble affolé, se mit à épier sur ce visage les moindres indices, dans l’espoir d’y surprendre quelque signe révélateur. — Révélateur de quoi ? — Il était incapable de réfléchir, incapable de réprimer l’émeute furieuse de terreurs, de doutes et de soupçons.

Dans son sommeil, Hippolyte eut un sursaut : tout son corps se tordit comme sous la violence d’un incube ; elle se renversa sur le côté vers George ; elle gémit et cria : « Non ! non ! » Puis elle eut deux ou trois halenées aussi fortes que des sanglots, et elle sursauta encore.

En proie à une anxiété folle, George la regardait fixement, l’oreille tendue, avec la peur d’autres paroles, un nom peut-être, un nom d’homme ! Il attendait, dans une incertitude horrible, comme s’il avait eu sur la tête la menace d’un coup de foudre qui aurait pu l’anéantir en une seconde.

Hippolyte s’éveilla ; elle le vit confusément, sans se rendre compte, ensommeillée ; elle se serra contre lui d’un mouvement presque inconscient.

— À quoi rêvais-tu ? lui demanda-t-il d’une voix altérée, où semblaient se répercuter les battemens de son cœur.

— Je ne sais pas, répondit-elle, alanguie, noyée encore de sommeil, en appuyant sa joue sur la poitrine de son amant. Je ne me rappelle plus…

Elle se rendormait.

Mais, sous la tendre pression de cette joue, George resta immobile, avec une sourde rancune au fond de l’âme. Il se sentait