— Tiens ! goûte comme c’est bon !
Et elle lui tendit le morceau de pain sur lequel était imprimée la trace humide de la morsure ; et elle le lui poussa entre les lèvres, riant, lui donnant la contagion sensuelle de son hilarité.
— Tiens !
Il trouva la saveur délicieuse : il s’abandonna à cet enchantement
fugitif, il se laissa envelopper par cette séduction qui lui
semblait nouvelle. Un désir fou l’assaillit soudain d’étreindre la
provocatrice, de l’enlever dans ses bras, de l’emporter à la course
comme une proie. Son cœur se gonfla d’une aspiration confuse
vers la force physique, vers la santé puissante, vers une vie de
joie presque sauvage, vers l’amour simple et rude, vers la grande
liberté primordiale. Il éprouva comme un besoin subit de lacérer
la vieille dépouille qui l’oppressait, d’en sortir entièrement renouvelé,
indemne de tous les maux dont il avait souffert, de toutes
les difformités qui avaient gêné son essor. Il eut l’hallucinante
vision d’une existence future qui serait la sienne et dans laquelle,
affranchi de toute habitude funeste, de toute tyrannie étrangère,
de toute erreur mauvaise, il regarderait les choses comme s’il les
eût vues pour la première fois et aurait devant lui toute la face du
Monde à découvert comme une face humaine. Était-il donc impossible
que le miracle vînt de cette jeune femme qui, sur la
table de pierre, sous le chêne protecteur, avait rompu le pain
nouveau et l’avait partagé avec lui ? Ne pouvait-elle pas commencer
réellement, à partir de ce jour, la Vie Nouvelle ?