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Or cette diminution n’est pas la conséquence d’une atténuation fortuite des maladies infectieuses, car nous avons eu, en 1894, deux petites épidémies, l’une de fièvre typhoïde, l’autre de variole ; et les ravages de la phtisie ont augmenté. La diminution a porté sur les maladies banales, sur les accidens, et ce qui prouve que la cause ou l’une des causes en est bien dans l’émigration estivale, c’est qu’elle s’est produite pendant les quatre mois de villégiature. Malgré l’augmentation annuelle du chiffre de la population, la mortalité diminue à Paris dans une proportion régulière pendant la belle saison, et pendant celle-là seulement.

Le mouvement d’émigration estivale ne fera que s’accentuer : d’abord parce qu’il répond à un besoin réel et ensuite parce qu’il rencontrera des facilités de plus en plus grandes. C’est l’œuvre des chemins de fer. Il y a cinquante ans, il fallait quatre jours pour venir de Brest à Paris, et la diligence y apportait chaque jour seize voyageurs. Il en était ainsi sur les autres routes nationales, et les voitures publiques ne pouvaient pas amener à Paris ni par conséquent en remmener plus de 150 à 200 personnes dans les vingt-quatre heures. Aujourd’hui les chemins de fer en enlèvent, pendant les jours de fête, et en ramènent à Paris près de 300 000. Au lieu de passer des journées entières enfermés dans des boîtes étroites et pressés les uns contre les autres, les voyageurs sont à l’aise dans des voitures confortables, et arrivent en quelques heures à leur destination.

Le réseau des voies ferrées va développant sans cesse sa circulation collatérale ; il crée de petites lignes à voie étroite, sur lesquelles s’embranchent des correspondances d’omnibus et des courriers qui se rendent dans les plus petites localités. Les stations à la mode, les plages de bains de mer vont sans cesse augmentant leurs prix et ne laissent pas que d’épouvanter les gens tranquilles, ceux qui ne quittent point Paris pour se retrouver au bord de l’Océan ou de la Manche ; mais à côté de ces rendez-vous de l’élégance et de la richesse, il s’en forme d’autres pour les fortunes et les goûts modestes, et, de cette façon, tout notre littoral finira par se peupler à l’époque des chaleurs par les émigrans des villes.

C’est ainsi que la Bretagne, jadis si peu connue et si peu hospitalière, s’est transformée depuis trente ans, et l’été ses grèves sont tout étonnées de voir circuler sur leurs sables des femmes élégantes, des hommes du monde, et des essaims de bicyclettes, qui les traversent comme des vols de goélands.

Les compagnies de chemins de fer s’y prêtent et saisissent tous les prétextes possibles pour abaisser momentanément leurs tarifs. Trains de plaisir, de bains de mer, de pardons, de