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Mais il est certain qu’elle donna au nouvel évangile l’attrait raffiné d’un enthousiasme mystique, qu’elle éleva les dogmes positivistes soutenus par elle en insistant sur la nécessité d’épurer encore l’idéal que nous ont légué dix-huit siècles de christianisme. Elle renia toujours avec énergie les doctrines de l’amour libre que quelques-uns de ses amis auraient voulu lui faire défendre. Pour elle, l’humanité semblait au contraire marcher vers une forme toujours plus pure de la monogamie ; elle prêchait dans le mariage une association d’esprits se complétant et travaillant au même objet. Et si le mariage est ainsi un frein mis par l’intelligence et par la raison à la passion brutale, il en est ainsi, à plus forte raison, du malthusianisme. Le devoir de restreindre les naissances est imposé par les principes les plus élémentaires du positivisme. C’est l’un des plus puissans remèdes du paupérisme, et, surtout, du moment que la santé morale de la race dépend, et ne dépend, que de sa santé physique, que la seule misère engendre le vice et le crime, une malheureuse femme tombée sous la domination d’un homme ivre et débauché n’a pas d’autre moyen de se soustraire au résultat d’appétits funestes, dont le contrecoup va frapper les plus lointaines générations.

Dans toutes ces luttes, livrée à l’impression du moment, qui chez elle emportait tout, elle eut des heures de pleine joie, et de grands triomphes. Longtemps son union d’esprit et d’opinion avec M. Bradlaugh fut complète. On courait les grèves, on remuait le district de Northampton, on répandait pas mal de vérités, on disait aussi quelques bonnes sottises, on faisait l’éloge éclectique des bienfaiteurs de l’humanité, Jésus, Bouddha, Malthus, qui devaient être fort étonnés de se trouver présentés les uns aux autres ; et parfois quand un interrupteur s’obstinait par trop à injurier la jeune femme, M. Bradlaugh retroussait ses manches et le « sortait » à coups de poing de la salle du meeting. Jours de bohème, d’aventures et de gaieté ! Puis peu à peu un dissentiment grandit entre les deux associés. « Je fus l’amie des mauvais jours, » écrit amèrement Mme Besant. L’homme auquel elle s’était consacrée avait pris au Parlement la place que méritait son talent, et les rêveries de sa compagne le laissaient de plus en plus froid et étonné.

Une fois lancée dans l’extraordinaire, rien à celle-ci ne semblait plus assez extraordinaire. D’autres réformateurs l’entouraient, la sollicitaient, l’appelaient à de nouveaux combats : le docteur Aveling, ce curieux érudit du socialisme, qui promène dans les réunions populaires une étrange et caricaturale tête de vieux jockey réformé ; le révérend Headlam, pasteur de l’Église anglicane, qui, rêvant de réformer le christianisme par le théâtre, fréquente plus assidûment Drury-Lane et Covent-Garden que les