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les philosophes alexandrins, la kabbale juive, le spiritisme, ont été mis par elle à contribution, et de tout cela il est résulté de gros volumes d’une langue souvent assez belle, d’une imagerie orientale suffisante, et d’une composition nulle.

Il s’agissait de supprimer Dieu comme personne individuelle et créatrice. Alors, au lieu de le placer à l’origine des choses, on l’a mis à la fin, et c’est l’homme qui est chargé d’en fournir la matière première. A travers de longues séries de luttes qui se continuent durant des milliers d’existences, les meilleurs d’entre nous se spiritualisent, s’épurent, et chacun devient un dieu. Etrange dieu ! Plus il sent en lui le feu du centre divin dont il émane, plus il devient semblable aux autres âmes arrivées au même point que lui, et plus il agit, en toute liberté, comme s’il n’était qu’une cellule d’un grand corps frémissant. Une cellule, en effet, mais divine, rayonnante, intelligente ! Avec ses sœurs elle forme « l’esprit planétaire, » le cerveau de la terre. Le monde a pris conscience de lui-même ; une volonté savante roule dans ses mers, anime ses fleuves, illumine les courans qui vont d’un pôle à l’autre, et, sans bouger de sa place marquée dans l’absolu sans bornes, de même que l’homme d’aujourd’hui sait qu’il est un homme, ce monde intelligent sait qu’il est un monde.

Ceci est emprunté aux livres de magie gréco-hébraïques. On l’a mis à la mode du jour, en se servant peut-être de quelques pages de M. Renan dont les lecteurs de cette Revue se souviennent encore. Mais si l’homme peut ainsi arriver à la divinité, il faut que la somme de ses efforts ne se perde point à la mort ; il faut de plus qu’il puisse accumuler ces sommes. Pour les théosophes, il y aura donc dans l’homme un principe immortel, et ce principe devra se désincarner et se réincarner durant des millions de siècles avant d’arriver à sa perfection. Ici nous retournons dans l’Inde pour lui prendre sa doctrine de la métempsycose, bien plus vieille que le boudhisme. Après avoir posé en commençant l’inanité de la distinction entre la matière et l’esprit, les théosophes oublient ce point de départ, rétablissent leur dualité, en divisant l’homme en une sorte de gamme de sept élémens dont quatre matériels et trois spirituels. Ainsi, après tout cet étalage d’alchimie métaphysique, on rétablit tout simplement la vieille distinction de l’âme et du corps, et l’on nous dit que l’une demeure, tandis que l’autre se corrompt. Nous ne sommes pas plus avancés qu’auparavant ! Il est vrai que, pour nous consoler, on nous offre la fameuse théorie du Karma, qui doit résoudre le problème de la responsabilité humaine : sur le plan terrestre, le moi impérissable a agi, peiné, pensé, commis le bien et le mal, s’est avili ou élevé ; un monde s’est amassé autour de