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d’un pêle-mêle d’impressions confuses tour à tour éprouvée » devant les gargouilles gothiques, les bamboches flamands, les magots chinois, les mascarons rococos, d’où l’imagination, plus troublée qu’éclairée, du jeune homme n’a point su dégager encore une façon propre d’exprimer l’aspect hideux ou grossier de la face humaine. La signification symbolique de cette cohue grimaçante n’est pas d’ailleurs très claire, et l’on s’explique moins encore son rôle dans une ordonnance architecturale qui manque, elle-même, d’équilibre et de décision. La même intervention de fantaisies ou de réminiscences bizarres, d’un goût incertain et un peu puéril, vient parfois aussi gâter, sous la main de l’habile ouvrier, les belles études de physionomies humaines qu’il sut exécuter, de bonne heure, avec une remarquable vivacité d’analyse et de rendu, et qui resteront l’affirmation la plus heureuse et la plus complète de son talent. L’exubérance et l’étrangeté des accessoires dont son dilettantisme de voyageur naïf écrase ou affuble ses bustes de Charles Ier, d’Évêque, etc., n’ajoutent rien à la puissance d’expression dont son intelligence d’artiste anime ces visions rétrospectives ou plutôt ils la compromettent légèrement par une apparence d’affectation. En réalité, c’est en dégageant tous ses bustes de ces adjonctions souvent enfantines qu’on en saisit la valeur réelle, la vérité délicate ou profonde, et qu’on y sent une âme sympathique, une âme convaincue et impressionnable, plus apte encore à exprimer des âmes simples, celles des enfans, des jeunes filles, des religieuses, des poètes, des artistes, que les âmes compliquées d’hommes d’État ou de personnages historiques. Carriès, ouvrier expérimenté et ambitieux, poussant à l’extrême l’amour et la recherche de toutes les séductions extérieures de la matière, patines du bronze, colorations de la terre, reflets des émaux, n’échappe guère, même alors, à ces tentations accoutumées ; il est rare qu’il n’encombre pas ses meilleures têtes de quelque coiffure surabondante, de quelque collerette déchiquetée, sous lesquelles il faut chercher la physionomie, comme le fruit sous les feuilles, mais ce fruit est parfois vraiment savoureux. Toute la série des études d’après des types populaires, les Deshérités, les Epaves, ou d’après des figures d’artistes, soit vues, soit rêvées, Jules Breton, Franz Hals, Velasquez, est fort sérieuse et bien personnelle. Le Buste de Vacquerie, notamment, en bronze à cire perdue, est une œuvre serrée, précise, ressentie, que tous les musées s’honoreraient de recueillir. Parmi les figures de Bébés et de Jeunes filles, il y a quelques chefs-d’œuvre de naïveté et de tendresse qui apparentent vraiment Carriès avec les grands artistes du XVe siècle florentin, comme quelques autres le rattachent à la