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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/208

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une louange incompétente. Il ne la goûte que de la bouche de ses pairs. C’est leur témoignage unanime qu’il faudrait rapporter pour mettre M. Gaston Paris à sa vraie place. Le Français qui a peu voyagé sait mal avec quelle déférence l’Europe laborieuse, d’Upsal à Bologne, d’Edimbourg à Odessa, prononce un nom deux fois identifié, pendant près d’un siècle, avec la résurrection et les progrès d’une science. Depuis les premières recherches de Paulin Paris, en 1824, jusqu’aux travaux actuels de son fils, ces deux grands abbés de nos bénédictins laïques ont fait de notre moyen âge un patrimoine de famille, en partie reconquis sur l’Allemagne. Belle et rare singularité, une dynastie qui a fondé, gardé, agrandi un royaume dans la France du XIXe siècle. Une dynastie ! Nous ne serions plus de notre pays, si nous ne la tracassions pas de notre opposition, de nos exigences, si nous ne lui demandions pas des concessions pour la mieux ruiner. Puisque nous ne pouvons rien pour louer les savans, cherchons-leur une querelle. Je sais un apologue que je voudrais commenter avec eux.

Il y avait une fois un moutier dont les grilles donnaient sur la rue la plus fréquentée d’une grande ville. Les bourgeois qui passaient entrevoyaient de rare en rare, derrière ces grilles, trois ou quatre nonnains d’une beauté prodigieuse ; elles faisaient signe aux passans d’un air de mystère, et leur voix suave ne disait que ces mots : « Nous sommes ici des centaines, toutes aussi merveilleusement belles, et d’un naturel infiniment plaisant : le jour où vous pourriez voir nos sœurs et converser avec elles, vous seriez tous férus d’amour et ne voudriez plus connaître les dames de votre compagnie habituelle. Mais cela n’arrivera jamais, parce qu’une règle austère nous ordonne de travailler derrière ces murs à notre perfectionnement. » — Les bourgeois, gens simples, étaient ébranlés dans leur piété. Ils se disaient : « C’est grand dommage que tant de belles créatures soient soustraites à notre admiration. Pourtant, si elles vaquaient silencieusement à leurs devoirs, on se résignerait à les ignorer ; mais ce langage humblement provocant est fait pour nous induire en tentation : il faut que la porte d’un couvent soit ouverte ou fermée. » — Une chronique rapporte que les événemens de guerre amenèrent d’Italie des Espagnols de l’empereur d’Allemagne, qui forcèrent le moutier. Les nonnains avaient exagéré : beaucoup d’entre elles étaient insignifiantes ; néanmoins quelques-unes passaient en beauté tout ce qu’on avait attendu, si bien que le peuple les enleva aux soudards et fit grand festoiement pour la libération de telles merveilles.