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On entendait des gazouillemens d’oiseaux, rapprochés et lointains. On entendit le mugissement d’un bœuf ; puis, un bêlement ; puis, la plainte d’un enfant. Il y eut une pause où toutes les voix se turent, et on n’entendit plus que cette seule plainte.

C’était une plainte, non pas violente et entrecoupée, mais grêle, continue, presque douce. Et elle fascinait l’âme, la détachait de tout le reste, l’arrachait à la séduction du crépuscule pour l’opprimer d’une angoisse vraie répondant à la souffrance de la créature inconnue, du petit être invisible.

— Tu entends ? dit Hippolyte dont la voix, altérée par la compassion, se fit involontairement plus basse. Je sais, moi, quel est l’enfant qui pleure.

— Tu le sais ? demanda George, à qui la voix et l’aspect de sa maîtresse avaient donné un étrange sursaut.

— Oui.

Elle avait encore l’oreille tendue vers ce gémissement lamentable qui maintenant semblait remplir toute la campagne. Elle reprit :

— C’est l’enfant que sucent les Goules.

Elle avait prononcé ces mots sans l’ombre d’un sourire, comme si elle-même eût été possédée par cette superstition.

— Il habite là-bas, dans cette masure. Candie me l’a dit.

Après une courte hésitation pendant laquelle tous deux écoutèrent la plainte et eurent la vision fantastique de l’enfant qui allait mourir, Hippolyte proposa :

— Veux-tu que nous allions le voir ? Ce n’est pas loin.

George restait perplexe : il craignait le spectacle affligeant, il craignait le contact des douleurs brutales.

— Veux-tu ? répéta Hippolyte, dont la curiosité devenait irrésistible. C’est là-bas, dans cette masure, sous ce pin. Je connais la route.

— Allons !

Elle allait droit devant elle, en hâtant le pas, à travers un champ en pente. Ils se taisaient tous deux ; ils n’étaient tous deux attentifs qu’à cette plainte enfantine sur laquelle ils se guidaient. Et, à chaque pas, leur angoisse devenait plus poignante, à mesure que la plainte se faisait de plus en plus distincte et rendait mieux le caractère de la pauvre chair exsangue d’où l’arrachait la douleur.

Ils traversèrent un taillis d’orangers odorans, dont leurs pieds foulèrent les fleurs éparses sur le sol. Au seuil d’une chaumière voisine de celle qu’ils cherchaient, une femme de corpulence énorme se tenait assise, et, sur ce corps monstrueux, elle avait