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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/284

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Et elle retira ses pieds, les cacha entre les plis du peignoir.

— Non, non, je te le défends.

Elle eut un moment de dépit et de honte ; elle fronça les sourcils, comme si elle eût surpris dans le regard de George une étincelle de la vérité cruelle.

— Méchant ! dit-elle encore, sur un ton ambigu de plaisanterie et de rancune.

Il répondit, un peu énervé :

— Tu sais bien que, pour moi, tu es belle tout entière.

Et il fit le geste de l’attirer en lui offrant un baiser.

— Non. Attends. Ne regarde pas.

Et elle s’éloigna, se glissa vers un angle de la tente. Vivement, avec des gestes furtifs, elle mit ses longs bas de soie noire ; puis elle se retourna, impudique, avec sur les lèvres un indéfinissable sourire. Il y avait dans son geste quelque chose de volontairement lascif, et il y avait dans son sourire une pointe de subtile ironie. Et cette muette et terrible éloquence prenait pour le jeune homme cette signification précise : « Je suis toujours l’invaincue. Tu as connu près de moi toutes les jouissances dont est assoiffé ton désir sans fin, et je me revêtirai de mensonges qui provoqueront sans fin ton désir. Que m’importe ta perspicacité ? Le voile que tu déchires, j’ai le pouvoir de le réparer en un instant ; le bandeau que tu as arraché, j’ai le pouvoir de te le rattacher en un instant. Je suis plus forte que ta pensée. Je connais le secret de mes transfigurations dans ton âme. Je sais les gestes et les paroles qui ont la vertu de me transfigurer en toi. » Et en effet, une fois de plus la réalité se convertissait en une fiction confuse pleine d’images hallucinantes. La réverbération de la mer emplissait la tente d’un frissonnement d’or, mêlait mille paillettes d’or aux fils du tissu. Par l’ouverture, on apercevait l’immensité de la mer calme, la vaste immobilité des eaux sous un flamboiement presque lugubre. Et peu à peu ces apparences mêmes s’évanouirent. Dans le silence il n’entendit plus que le rythme de son propre sang ; dans l’ombre il ne vit plus que les deux grands yeux fixés sur lui avec une sorte de fureur. Elle l’enveloppait tout entier d’un multiple contact, comme si elle eût participé de la nature d’un nuage… Et dans l’égarement final de sa conscience il crut toucher le fond d’un abîme et frapper la roche de sa nuque.

Il entendit ensuite, comme dans le lointain, parmi le froufrou des jupes, la voix d’Hippolyte qui disait :

— Tu veux rester encore un peu ? Tu dors ?

Il ouvrit les yeux ; il murmura, tout étourdi :

— Non, non, je ne dors pas.