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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/310

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Pour bien comprendre cela, c’est l’histoire de l’humanité intellectuelle qu’il faut faire. On peut, pour abréger, la diviser en trois grandes périodes : il y a eu un âge théologique, un âge métaphysique, et il y a un âge scientifique.

L’âge théologique, qu’on peut subdiviser lui-même en période fétichique, période polythéique et période monothéique, est un âge de l’humanité où l’on attribuait tout phénomène à un agent, à un être semblable à l’homme.

Autant de phénomènes, autant de dieux particuliers qui les créent, comme nous soulevons une pierre ou brandissons une massue : voilà le fétichisme.

Autant de groupes de phénomènes, autant de dieux qui y président, qui les veulent, phénomènes maritimes relevant de Poséidon, phénomènes célestes relevant de Zeus ; voilà le polythéisme ; c’est une concentration du fétichisme.

Tous les phénomènes possibles ayant pour cause continue un seul être, une seule volonté, relevant de lui, dépendant d’elle, voilà le monothéisme ; c’est une concentration du polythéisme.

Dans ces trois périodes, cent mille, cent ou un être, semblables à l’homme, qui meuvent ou qui meut, qui régissent ou qui régit les phénomènes naturels ; de l’une à l’autre période une centralisation successive de ce pouvoir jusqu’à ce qu’il soit ramassé en un seul être tout-puissant : voilà l’âge théologique de l’humanité.

L’âge métaphysique, beaucoup plus court du reste, est beaucoup moins net, et n’est qu’une transition. En cet âge l’humanité attribue la création des phénomènes non plus à des êtres, non plus à un être, mais à des abstractions. On ne dira plus Cérès, on dira la Nature ; on ne dira plus Zeus, ou dira l’Attraction, et l’on sera porté à croire que la Nature est un être et que l’Attraction en est un autre. C’est l’état naturel d’un esprit qui est habitué à voir dans le monde des causes qui sont des êtres, et qui, déjà n’y saisissant plus que des lois, prend ces lois pour des causes et ces causes pour des êtres, et leur donne, par habitude, des noms propres. Si cette opération de l’esprit était très précise et si cette tendance de l’esprit était très forte, elle ramènerait au polythéisme ; elle peuplerait l’univers de lois prises pour des causes habillées eu êtres, qu’on adorerait. Mais ce penchant est faible ; il n’est qu’un reste de théologie exténuée et effacée, et il ne va pas plus loin qu’à créer un système d’allégories ; mais encore il habitue trop l’esprit à se payer de mots, ou il le maintient dans l’habitude de s’en payer.

Le troisième âge est l’âge scientifique. Dans celui-là l’homme