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des sciences cette « philosophie première » dont a parlé Bacon.

Pour former des sciences un seul corps, il faut d’abord les classer. D’après quelles règles ? Cela a déjà été essayé par Bacon, par d’Alembert, par d’autres encore ; mais remarquez comme l’ancien esprit — qu’on le regarde comme théologique ou comme métaphysique, l’ancien esprit qui dominait toute philosophie autrefois, l’esprit par lequel l’homme se considérait comme le centre de toutes choses, l’esprit anthropocentrique, — a encore dirigé ces essais de classification. Bacon classait les sciences selon qu’elles se rapportaient à la mémoire, à l’imagination ou à la raison ; d’Alembert adoptait cette classification et en proposait en même temps doux ou trois autres selon qu’il considérait l’ordre logique de nos connaissances ou l’ordre historique dans lequel il supposait que l’humanité les a acquises ; mais toujours ces classifications avaient un caractère subjectif ; elles étaient le résultat d’une analyse plus ou moins bien faite de l’esprit humain. La véritable classification doit avoir un caractère objectif. Les sciences sont des constatations et des compte rendus de phénomènes. Ce sont les phénomènes qu’il faut regarder et les caractères de ces phénomènes qu’il faut bien saisir pour les grouper, puis pour de chacun de ces groupes faire l’objet bien défini d’une science bien délimitée, puis pour rattacher chacune de ces sciences à une autre de manière à former une chaîne continue.

Suivant quel ordre sera faite cette chaîne ? Ne sera-t-il pas naturel d’aller ici du simple au composé, et de ranger les sciences suivant la complexité de plus en plus grande de leur objet ? N’est-il pas naturel de considérer que les phénomènes les plus simples et les plus généraux sont le fondement sur lequel les plus compliqués viennent s’établir ? L’homme par exemple est évidemment un être très complexe ; la science de l’homme est à un degré très élevé de complexité. Or l’homme est un animal pensant, un animal moral, un animal sociable ; voilà des choses à étudier, psychologie, éthique, sociologie. Mais l’homme ne penserait, ni n’aurait d’idées ou sentimens moraux, ni n’aurait d’idées ou sentimens sociaux s’il ne vivait pas dans telles et telles conditions. Sa vie physiologique est donc la base sur laquelle repose sa vie psychique, morale, sociale. Il faut donc rattacher psychologie, éthique, sociologie à la physiologie et n’étudier celles-là que quand on est sûr de celle-ci. Mais la vie physiologique de l’homme dépend des actions et réactions chimiques des élémens dont son corps est constitué. La physiologie repose donc sur la chimie comme sur sa base. Mais la chimie dépend des conditions générales dans lesquelles vit la planète que nous habitons ; elle repose sur la