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reconnaissant, vindicatif dans chaque objet, dans chaque grand groupe d’objets, dans l’univers entier. Il se connaissait comme moralité, et successivement il logeait un être facteur de moralité, voulant le bien, bon au bon, méchant au méchant, dans chaque chose, dans chaque grand groupe de choses, dans l’ensemble éternel des choses. Il se connaissait comme intentionalité, comme n’agissant jamais ou ne croyant jamais agir que dans un dessein, en vue d’un but ; et successivement il logeait dans chaque coin de l’univers, dans quelques grandes régions de l’univers, dans la totalité de l’univers, un être qui avait un dessein et qui le poursuivait ; de telle sorte que, successivement, l’univers était une collection de petits royaumes, de grands royaumes, et enfin un seul royaume, gouverné par un roi qui le menait vers une fin connue de lui ; l’univers avait un sens et un but ; il n’était pas un fait, il était une œuvre, une œuvre se continuant sous nos yeux dans la direction de son achèvement.

Ainsi l’homme faisait l’univers à son image, projetait son portrait dans l’infini. L’univers était un agrandissement de lui-même. Quand il s’appelait lui-même microcosme, ce qu’il voulait dire c’est que l’univers était un géant. Toutes les sciences étaient des dépendances de la science de l’homme, et en étaient, du reste, des imitations.

Si, à l’inverse, nous admettons que la science de l’homme est une dépendance de toutes les sciences, ce n’est plus l’univers qui est un prolongement de l’homme, c’est l’homme qui est un prolongement de l’univers. Il dépend de lui, vit de sa vie, a des lois seulement plus complexes, mais qui sont en leur fond les mêmes que celles qui régissent la matière universelle. Il est une résultante du monde entier, au lieu qu’il semblait autrefois que le monde résultat de lui. Au fond, dans les anciennes conceptions, l’homme créait l’univers. A le comprendre organisé sur le modèle de lui-même, vraiment il le créait à son image ; il entretenait en lui-même cette illusion que le monde procédait de lui. Ce n’est pas l’homme qui crée le monde, c’est le monde qui crée l’homme. Dès que l’homme aura cette idée bien nette en son esprit, c’est précisément tout l’inverse de l’ancienne philosophie qu’il aura comme à la base de toutes ses conceptions possibles.

Voilà ce que contient déjà la simple classification nouvelle des sciences, la hiérarchie des sciences.

Il n’est pas besoin de faire observer de plus, que Comte a été guidé dans le tracé de sa nouvelle classification par son horreur et sa défiance de la métaphysique. D’instinct il a donné le premier rang aux sciences absolument dépouillées de toute métaphysique, et fait