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comme prolongement de la ligne stratégique Berlin-Hambourg-Altona.

Les précautions militaires ne suffisaient pas. D’ailleurs, quand on a beaucoup à conserver il est naturel de s’attacher à prévenir les difficultés. On agit donc sur l’opinion publique avec cet art consommé dont M. de Bismarck ne semble pas avoir livré tous les secrets. Les avertissemens les plus précis furent officieusement donnés au Danemark : une presse qui se renseignait sans doute aux bons endroits déclara — sans être démentie — que le premier acte de la guerre future serait l’occupation de l’archipel Danois et du Jutland par les troupes allemandes. À cette même époque on voyait, coïncidence remarquable, s’élever en Danemark, entre la couronne et le parti avancé, un long conflit politique qui se traduisait surtout par le refus des crédits destinés à mettre ce qui reste du royaume à l’abri du coup qui le menaçait. En même temps la littérature militaire s’enrichissait de traités fort habiles où les stratèges d’outre-Rhin démontraient qu’en présence des énormes effectifs modernes les débarquemens n’étaient plus possibles et qu’il y aurait folie pure à y songer désormais. Ces doctrines, propagées en France avec adresse, furent accueillies avec la faveur irréfléchie qui attend chez nous tout ce qui vient de l’étranger, et surtout de l’étranger victorieux. Ne justifiaient-elles pas aussi l’instinctive réserve avec laquelle beaucoup de militaires, de l’armée ou de la marine, envisageaient l’éventualité d’une action commune ?…

Quoi qu’il en soit, ces divers moyens — nous ne les énumérerons pas tous — furent mis en œuvre avec un plein succès et toute préoccupation relative à la situation militaire des duchés dans le cas d’une grande guerre européenne parut écartée pour longtemps.

Les années ont passé cependant et la question va renaître, nous en sommes convaincu.

Elle va renaître, d’abord et tout simplement, parce que les yeux se sont portés de nouveau sur ces pièces toujours intéressantes de l’échiquier stratégique européen ;

— Parce que le canal maritime allemand, puisqu’il est un instrument de guerre, attirera forcément la guerre : si les uns ont tant d’intérêt à s’en servir, les autres n’en verront pas moins à le détruire, ou à le tourner contre le défenseur ;

— Parce que le nombre perd de son prestige ; parce que chacun commence à entrevoir le retour aux armées de métier, aux armées relativement faibles d’effectifs mais très fortes par la valeur individuelle de leurs élémens ;