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lorimètre. Le nier, ce serait renverser toute la théorie de la chaleur à laquelle il sert de base. »

La loi de Robert Mayer nie ce principe ; la théorie entière de la chaleur est renversée et doit être édifiée à nouveau.

En bien des points, cette restauration est aisée ; éviter, dans la détermination de l’équivalent mécanique de la chaleur, l’emploi du principe controuvé ; retrouver, sans l’aide de ce principe, les propriétés des gaz et des vapeurs établies jusque-là dans l’hypothèse du calorique, toutes ces retouches se font, pour ainsi dire, d’elles-mêmes ; mais il semble moins facile de mettre d’accord avec la doctrine nouvelle, les découvertes auxquelles un principe, que cette doctrine déclare faux, avait conduit Carnot.

En 1849, W. Thomson se trouve en présence de deux principes contradictoires de la théorie de la chaleur : d’une part, le principe de l’équivalence de la chaleur et du travail, auquel les recherches expérimentales de Colding et surtout de Joule, auquel le récent écrit de Helmholtz, donnent une probabilité de plus en plus grande ; d’autre part, le principe que la chaleur absorbée par un corps durant un changement d’état ne dépend que de l’état initial et de l’état final, principe sur lequel repose l’admirable suite des déductions de Carnot ; entre ces deux principes, il hésite, et, passant outre au démenti de l’expérience, il finit par opter en faveur de l’axiome que Carnot avait reçu de la tradition : « Si nous abandonnons ce principe, dit-il, nous nous heurtons à d’autres difficultés innombrables que l’on ne peut surmonter sans de nouvelles recherches expérimentales et sans édifier complètement la théorie de la chaleur sur une nouvelle base. » Tant il est rare qu’un physicien se résolve à abandonner une hypothèse incompatible avec les faits, qu’il consente à rejeter une théorie contredite par l’expérience, avant d’avoir découvert une hypothèse plus compréhensive et développé une théorie plus conforme à la nature !

Trop vigoureuse pour tolérer aucune contrainte, l’imagination britannique fait bon marché des règles de la logique : la rigueur germanique de l’esprit de Clausius le pliait plus exactement aux lois de la méthode expérimentale. Plein d’admiration pour l’œuvre de Carnot, mais convaincu que rien ne subsisterait de cette œuvre que ce qui s’accordait avec le principe de l’équivalence de la chaleur et du travail, devenu vérité d’observation, il aborda de front les difficultés qui avaient fait reculer Thomson et, dans la seconde partie de son Mémoire sur la force motrice de la chaleur, il exposa cette théorie que le physicien anglais croyait impossible d’édifier sans nouvelles recherches expérimentales.