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la chaleur du jour, et le Pharaon pouvait se promener à l’aise en cette vaste salle hypostyle qui terminait son palais, ou dans les chambres bordant la cour intérieure qui donnait accès dans cette immense salle.

Comme toutes les constructions égyptiennes, — le lecteur s’en sera de lui-même aperçu, — cet ensemble grandiose d’édifices n’est pas régulier : les parties composantes ne sont pas homogènes ou symétriques, et l’ensemble ne participait en rien à cette perfection que nous connaissons aujourd’hui : l’artiste égyptien réservait tous ses soins pour les objets en particulier ; le détail l’absorbait et il oubliait l’ensemble. Au nombre de ces détails il faut ranger d’abord les colonnes à chapiteau campaniforme de l’effet le plus gracieux et de l’ornementation la plus riche, où l’or même n’était pas épargné, avec des incrustations simulées, véritables types d’élégance et de richesse. S’il en faut juger par les représentations qu’en donnent certains ouvrages, elles atteignaient la perfection presque absolue, qu’elles fussent couvertes de sculptures ou simplement coloriées. La sculpture était aussi représentée dans le palais de Khouenaten par de véritables chefs-d’œuvre : on n’en a trouvé que des fragmens, mais ces fragmens sont éloquens, décèlent une rare habileté, comme le torse de la reine Nofréti, le groupe du Pharaon et de sa famille. Ce qui distingue le style de cette époque, — tous ceux qui se sont occupés quelque peu de l’art égyptien le savent, — c’est l’étrangeté des formes du corps, c’est le cou démesuré du roi, de la reine, de leurs filles, l’exiguïté de certains membres et au contraire l’embonpoint de certains autres, des attitudes impossibles, semble-t-il, à l’échine la plus flexible, des habits qu’on ne retrouvera plus après cette époque, toutes choses qui font penser à une cour de désarticulés. Est-ce que le Pharaon n’aurait par hasard accordé sa royale faveur qu’à des acrobates, ou ne serait-ce qu’une convention d’art qu’il aurait choisie pour illustrer son règne ? Jusqu’ici c’est un mystère impénétrable. M. Pétrie, au cours de sa fouille, a trouvé un masque qu’il a pris pour le masque coulé sur le cadavre après la mort : on y peut voir tout aussi bien un masque d’essai fait par quelque commençant, et le lieu où il a été trouvé n’est pas celui où l’on doive s’attendre à trouver le masque funéraire du Pharaon. Ce n’est donc pas ce masque qui élucidera le problème. Cette particularité des sculptures d’El-Amarna a fait supposer à quelques savans que Khouenaten était eunuque, et d’autres, s’autorisant de Manéthon ont voulu que ce fût une femme ; mais ce prétendu eunuque avait huit filles, cette femme épousait les princesses syriennes et ses correspondans rappelaient « mon fils et mon gendre ».