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On s’est extasié devant ces bijoux, devant l’habileté qu’ils réclament, et on en a conclu que plus on remontait vers l’ancien Empire, plus on se trouvait en présence d’artistes parfaits, et qu’il en était de même pour tout l’art égyptien. C’est aller un peu trop vite en besogne, et je ne saurais souscrire à ces conclusions, parce qu’elles ne me semblent pas très justes. Sans parler du côté philosophique du sujet, qu’il serait cependant honnête de ne pas négliger, je trouve dans l’examen des bijoux eux-mêmes les raisons de mon sentiment. Ces bijoux laissent à désirer en un certain nombre de cas : la facture n’est jamais parfaite, chaque pièce en particulier d’un bijou peut sembler parfaite et l’ensemble ne l’est pas. Dans les jaserons, il y a des mailles qui sont manquées, les chaînettes ne sont pas d’égale longueur ; dans les pièces qui se composent de plusieurs élémens qui devraient être égaux, il y en a toujours quelqu’un qui est trop long ou trop court. Les Egyptiens n’attachaient aucune importance à la symétrie des parties, non seulement en bijouterie, mais même dans leur architecture. Si l’on compare ces bijoux à ceux de la reine Aahhôtep de la XVIIe dynastie, on voit que loin d’être mieux travaillés ils le sont beaucoup plus mal, et les esprits pessimistes et chagrins, qui sont toujours prêts à proclamer l’infériorité des temps présens en comparaison des temps passés, reçoivent ici un éclatant démenti. Un peuple n’arrive pas du premier coup à la perfection, il lui faut gravir lentement et péniblement le calvaire de l’art ; plus il monte, plus son idéal s’étend, et plus il voit qu’il en est loin. Lorsqu’il croit l’avoir atteint, c’est qu’il n’a plus la force de le poursuivre et de gravir encore la pente difficile, c’est qu’il va descendre l’autre versant de la montagne, qu’il est devenu vieux et qu’il ne lui reste plus qu’à faire place à de plus jeunes. Le peuple qui ne progresse plus est fatalement appelé à disparaître.


Les objets merveilleux qui viennent d’être décrits ont appelé de nouveau l’attention sur l’Égypte. On a été quelque peu surpris que la terre noire de la vallée du Nil contînt encore tant de trésors à trouver, et, le moment de la surprise passée, on a conclu que sans doute, sûrement même, il en restait d’autres à découvrir. Les trois hommes qui la fouillent actuellement attirent à leur suite un plus grand nombre de gens qui voudraient avoir trouvé avant d’avoir fouillé. En France même cette ambition légitime, mais trop pressée, semble être partagée. On se demande ce que deviennent les antiquités découvertes. Il n’est pas difficile de répondre à cette question. M. de Morgan, fonctionnaire du gouvernement égyptien, est tenu par les fonctions mêmes qu’il