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lui étaient tendus. Elle a envoyé au Sénat une sorte de monstre législatif qui n’en reviendra sans doute jamais, à moins qu’il n’en revienne complètement transformé. Et alors tout sera à recommencer. Le travail de la Chambre n’a même pas opéré un dégrossissement de la matière première ; il en a plutôt réuni sur un même texte toutes les difficultés, peut-être les impossibilités. Le scénario a d’ailleurs ressemblé trait pour trait à celui dont nous avons déjà vu plusieurs répétitions. Il est triste de penser que l’expérience des Chambres précédentes serve si peu à celles qui viennent ensuite. La carte routière d’une discussion sur les boissons est, en quelque sorte, tracée d’avance. On connaît le tournant précis où la voiture a toujours versé : c’est celui où elle vient de verser une fois de plus. La Chambre, en dépit des nombreuses séances qu’elle a consacrées à la réforme, ne lui a pas fait faire un seul pas : elle l’a laissée dans la même et vieille ornière. Ses efforts ont manqué d’originalité, et leur résultat se solde à zéro.

La Chambre a été plus heureuse en ce qui concerne la convention commerciale avec la Suisse : sur ce point, elle s’est distinguée avec avantage de sa devancière. Un député ultra-protectionniste a constaté avec douleur que nous étions bien loin de la Chambre de 1892 ; il ne reconnaissait même plus M. Méline. Et, en effet, M. Méline était presque méconnaissable dans le rôle nouveau qu’il s’était attribué : il était le rapporteur de la loi qui consacre notre convention avec la République helvétique. Quantum mutatus ! M. Méline s’est efforcé de démontrer que ce n’est pas lui qui avait changé, mais bien l’arrangement franco-suisse, et qu’il y avait « un abîme » entre celui d’aujourd’hui et celui d’autrefois. La différence, nous le reconnaissons, est sensible : il n’en est pas moins vrai qu’il y a trois ans M. Méline n’aurait pas accepté d’être le rapporteur de la convention actuelle. Tout au plus se serait-il contenté de la laisser passer sans protestation ; encore cela n’est-il pas certain. Mais, depuis, M. Méline s’est détendu. La victoire qu’il a remportée lui a paru suffisante pour permettre quelques concessions. Et à quel peuple, à quelle nation voisine et amie les ferions-nous, sinon à la Suisse ? Le gouvernement par l’organe de M. Ribot, la commission des douanes par celui de son rapporteur imprévu, ont exprimé à cet égard les sentimens qui étaient dans tous les cœurs. C’est une tradition, chez nous, d’aimer la Suisse : notre histoire commune nous recommande une bienveillance réciproque. La guerre de tarifs que nous nous faisions depuis quelques années ne pouvait être qu’une anomalie, nous allions dire une aberration passagère. On le sentait des deux côtés de la frontière, et la preuve en est, du moins pour notre compte, dans l’imposante majorité qui a sanctionné l’arrangement. Elle a dépassé 500 voix : c’est à peine si une douzaine de protectionnistes irréductibles se sont prononcés contre la convention, de sorte qu’elle a réuni l’unanimité morale de la Chambre. Il en a été de