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Et il lui fit voir les égratignures saignantes.

— Cela te fait mal ?

Elle s’attendrissait, l’effleurant du bout des doigts.

— Mais aussi c’est ta faute, ta seule faute, continua-t-elle. Tu m’as forcée à venir. Je ne voulais pas…

Puis, souriante :

— C’était peut-être un prétexte pour te débarrasser de moi ?

Et, avec un sursaut qui la secoua toute :

— Oh ! la vilaine mort ! L’eau est si amère !

Elle pencha la tête et sentit l’eau couler de son oreille, tiède comme du sang.

La roche ensoleillée était chaude, brunâtre et rugueuse comme le dos d’une bête vivante ; et dans les profondeurs elle fourmillait d’une innombrable vie. On voyait à fleur d’eau les plantes vertes onduler avec une souplesse de chevelures dénouées, dans un léger clapotis. Une sorte de séduction lente se dégageait de ce roc solitaire qui recevait la chaleur céleste et qui la communiquait à son peuple d’heureuses créatures.

Comme pour céder à cette séduction, George s’allongea sur le dos. Pendant quelques secondes, il appliqua sa conscience à percevoir le bien-être vague qui pénétrait sa peau humide s’évaporant à la chaleur émanée de la pierre et à celle des rayons directs. Des fantômes de sensations lointaines se ravivaient dans sa mémoire. Il repensait aux bains chastes de jadis, aux longues immobilités sur le sable plus ardent et plus suave qu’un corps féminin. « Oh ! la solitude, la liberté, l’amour sans le voisinage, l’amour pour les femmes mortes ou inaccessibles ! »

— À quoi penses-tu ? demanda Hippolyte en le touchant. Tu veux rester ici ?

Il se souleva. Il répondit :

— Allons.

La vie de l’Ennemie était encore entre ses mains. Il pouvait encore la détruire. Il jeta autour de lui un rapide regard. Un grand silence occupait la colline et la plage ; sur le Trabocco, les pêcheurs taciturnes surveillaient le filet.

— Allons, du courage ! répéta-t-il en souriant.

— Non, non, jamais plus !

— Restons ici, alors.

— Non. Appelle les hommes du Trabocco.

— Mais ils riront de nous.

— Eh bien, je les appellerai moi-même.

— Mais, si tu ne t’effrayais pas, si tu ne m’empoignais pas comme tout à l’heure, je serais assez fort pour te porter.