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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/500

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— Tu ne m’entends pas ? Lève-toi ! marche !

Elle prit le petit chapeau, usé, mou comme une loque. Elle le regarda, le baisa. Elle dit :

— Je veux m’en faire une relique ; je veux le porter toujours sur mon cœur.

Elle prit la ceinture rouge et dit :

— Je veux t’habiller.

La femme revêche, qui n’abandonnait point la place, approuva.

— Oui, habillons-le.

Elle ôta elle-même les vêtemens de dessous la tête du mort, fouilla dans la poche de la veste, y trouva un morceau de pain et une figue.

— Tu vois ! On venait de lui donner son manger. On le tenait comme un œillet à l’oreille.

La mère regarda la petite chemise, sale, déchirée, sur laquelle ses larmes dégouttaient, et elle dit :

— Lui mettre cette chemise !

Prompte, la femme jeta vers la hauteur un appel à quelqu’un des siens :

— Apporte vite une chemise neuve de Nufrillo !

La chemise neuve fut apportée. Lorsque la mère souleva le petit mort, un peu d’eau lui sortit de la bouche et lui coula sur la poitrine.

— Ô Madone des Miracles, fais le miracle ! pria-t-elle en levant les yeux vers le ciel dans une suprême imploration.

Puis elle recoucha sa douce créature. Elle prit la vieille chemise, la ceinture rouge, le chapeau ; elle roula le tout en paquet, et dit :

— Ce sera mon oreiller ; j’y reposerai ma tête la nuit ; je veux y mourir.

Elle plaça la pauvre relique sur la grève près de la tête de l’enfant, y posa la tempe et s’étendit comme sur un lit.

Ils gisaient tous deux à côté l’un de l’autre, la mère et le fils, sur les pierres dures, sous le ciel en feu, près de la mer homicide. Et elle chantait la même cantilène qui jadis avait répandu un pur sommeil sur le berceau.

— Lève-toi, Riccangela ! Lève-toi ! répétaient les femmes autour d’elle.

Elle ne les écoutait point.

— Mon fils est couché sur les pierres et je ne pourrais pas m’y coucher aussi ! Oh ! sur ces pierres, mon fils !

— Lève-toi, Riccangela ! Viens !