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de l’attente furieuse alternaient, se mêlaient, se confondaient. L’impatience de l’âme féminine communiquait ses frémissemens à l’immensité de la nuit, à toutes les choses qui, dans la pure nuit d’été, respiraient et veillaient. L’âme enivrée jetait ses appels à toutes les choses, pour qu’elles demeurassent vigilantes sous les étoiles, pour qu’elles assistassent à la fête de son amour, au banquet nuptial de son allégresse. Insubmersible sur l’océan inquiet de l’harmonie, la mélodie fatale flottait, s’éclairant, s’obscurcissant. L’onde du golfe Mystique, pareille à la respiration d’une poitrine surhumaine, se gonflait, s’élevait, retombait pour se relever encore, pour retomber encore, pour s’apaiser lentement.

« Entends-tu ? Il me semble que le bruit s’est dissipé dans le lointain. » Yseult n’entendait plus que les sons imaginés par son désir. Les fanfares de la chasse nocturne retentissaient dans la forêt, distinctes, rapprochées. « C’est le chuchotement trompeur des feuilles qu’agitent les jeux du vent… Ce son si doux n’est pas celui des cors ; c’est le murmure de la source qui jaillit et dévale dans la nuit silencieuse… » Elle n’entendait que les sons enchanteurs suscités en son âme par le désir y composant le vieux et toujours nouveau sortilège. Dans l’orchestre comme dans ses sens abusés, les résonances de la chasse se transformaient magiquement, se dissolvaient en les rumeurs infinies de la forêt, en la mystérieuse éloquence de la nuit estivale. Toutes les voix étouffées, toutes les séductions subtiles enveloppaient la femme haletante, lui suggéraient l’ivresse prochaine, tandis que Brangaine avertissait et suppliait en vain, dans la terreur de son pressentiment : « Oh ! laisse resplendir le flambeau protecteur ! Laisse sa lumière te montrer le péril ! » Rien n’avait le pouvoir d’éclairer l’aveuglement du désir. « Quand ce serait le flambeau de ma vie, sans peur je l’éteindrais. Et je l’éteins sans peur. » D’un geste de dédain suprême, intrépide et superbe, Yseult jetait à terre le flambeau ; elle offrait sa vie et celle de l’Elu à la nuit fatale ; elle entrait avec lui dans l’ombre, pour toujours.

Alors le plus enivrant poème de la passion humaine se déroulait triomphalement, comme en spirale, jusqu’aux sommets du spasme et de l’extase. C’était la première étreinte frénétique, mêlée de volupté et d’angoisse, où les âmes avides de se confondre rencontraient l’obstacle impénétrable des corps ; c’était la première rancune contre le temps où l’amour n’existait pas, contre le passé vide et inutile. C’était la haine contre la lumière hostile, contre le jour perfide qui aiguisait toutes les souffrances, qui suscitait toutes les apparences fallacieuses, qui favorisait l’orgueil et opprimait la tendresse. C’était l’hymne à la nuit amie, à l’ombre