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exactement les véritables circonstances dans lesquelles vécurent et agirent le chevalier et ses amis. »

Sans pénétrer dans le labyrinthe inextricable de l’histoire de l’Allemagne pendant le premier tiers du XVIe siècle, il ne serait point difficile de marquer la faiblesse d’une telle interprétation, d’ailleurs ingénieuse et bien d’accord avec les tendances des historiens du nouvel empire. Il suffirait de constater, d’abord, que ces goûts de rapine et cette humeur batailleuse avoués avec une candeur si naïve, montrent bien en notre héros un animal d’instinct et de proie, un « loup », plutôt qu’un penseur profond cherchant à démêler, dans l’obscurité des temps, le vrai fil des destinées de son pays ; ensuite, que Gœtz n’exprime nullement ces « aspirations », et que, s’il se réclame de l’empereur, c’est parce que l’autorité de celui-ci est éloignée, faible, impuissante à s’imposer, tandis que celle de la ligue souabe est immédiate. Il sait fort bien qu’il n’a rien à redouter ni de Maximilien, ni du faible Charles V : c’est pour cela, sans doute, qu’ils ont ses sympathies ; et s’il a du goût pour l’idée impériale, ce n’est point parce qu’elle flatte son sentiment national : c’est parce que, pour lui, l’empire c’est le désordre, c’est-à-dire le libre exercice de sa force et le triomphe de sa violence.

Du reste, Gœthe n’alla pas chercher si loin. Il n’était point alors un esprit politique, et il ne le fut jamais, bien qu’il dût un jour, comme on sait, arriver aux affaires. Il n’était pas non plus patriote, nous l’avons déjà vu. Il ne l’était pas même en ce temps-là, où la vieille Allemagne ne l’attirait que par son éclat pittoresque, où son « nationalisme » était un sentiment essentiellement littéraire. Si l’on en doute, qu’on lise l’article qu’il publia dans les Frankfurter Gelehrten Anzeigen, peu de temps après Gœtz, sur « l’amour de la patrie »[1] : « Si nous trouvons une place au monde, y dit-il, où nous reposer avec nos biens, un champ pour nous nourrir, un toit pour nous couvrir, n’avons-nous pas là une patrie ? Et est-ce que des milliers et des milliers d’hommes n’ont pas cela dans chaque état ?… Le patriotisme romain, que Dieu nous en préserve !… etc. » Il assistait en paisible philosophe à l’agonie du vieil empire, sans en rêver un nouveau ; et je crois que M. Pallmann lui-même, malgré toute son ingéniosité, ne parviendrait point à faire de lui, comme de son héros, un précurseur de M. de Bismarck. Son idée a été beaucoup plus simple : il s’est épris de Gœtz pour des raisons analogues à celles qui l’avaient attaché à Shakspeare. Gœtz a représenté, pour lui,

  1. A propos d’un livre de J. von Sonnenfels intitulé : Ueber die Liebe des Vaterlands et publié à Vienne en 1771.