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nité. L’homme est pour la femme un moyen. Le but est toujours l’enfant. Mais qu’est-ce que la femme pour l’homme ? L’homme véritable veut deux choses : braver un danger et jouer. C’est pour cela qu’il veut la femme comme le plus dangereux des jouets. L’homme doit être élevé pour la guerre et la femme pour le repos du guerrier ; tout le reste est folie. Le bonheur de l’homme s’appelle : je veux ; le bonheur de la femme s’appelle : il veut. Et il faut que la femme obéisse et trouve une profondeur à sa surface. L’âme de la femme est une surface, une pellicule mouvante sur une eau peu profonde. Mais l’âme de l’homme est profonde ; son fleuve mugit dans les cavernes souterraines ; la femme pressent sa force, mais ne la comprend pas. »

Que vont faire maintenant ces hommes forts ? « Vous, les solitaires d’aujourd’hui ; vous, les séparés et les renonciateurs, vous serez un jour le peuple. De vous, qui vous êtes élus vous-mêmes, doit naître le peuple élu, et de lui l’homme surhumain. Tous les dieux sont morts. Maintenant, nous voulons que vive l’homme surhumain ! C’est le midi de la volonté ! » Voilà de fières paroles et de vastes perspectives. Nous ne sommes pas de ceux qui voudraient les interdire à l’humanité. Fussent-ils irréalisables, ce sont les beaux espoirs qui poussent aux grandes actions. Et puis, si l’homme n’a que peu d’années pour lutter avec le destin, l’humanité a devant elle l’infini des siècles. La préparation d’une humanité d’élite par la sélection voulue des meilleurs est peut-être l’avenir de l’espèce. Mais Zarathoustra a-t-il réuni dans son groupe les conditions indispensables pour l’accomplissement de son œuvre ? D’abord il en écarte la femme, ou du moins il la réduit au rôle de la maternité physique, lui refusant celui de la vivification sensible et de la création dans l’ordre psychique. En méprisant cet élément essentiel, Zarathoustra supprime la matrice même où le génie s’élabore dans un divin mystère. En se disant seul prophète et seul inventeur de la vérité, il supprime en outre tout lien entre le passé et le présent ; il coupe la chaîne magnétique qui, d’âge en âge, unit les peuples, les sages aux sages, les génies aux génies. En déclarant la notion du bien et du mal un acte arbitraire de l’homme fort, il détruit la notion même de la vérité. Il s’ôte la possibilité d’avoir un seul disciple sérieux, car tous auront le droit de s’insurger contre lui au nom de son propre principe. Ils ne feront qu’imiter leur maître qui ne veut d’aucun maître, pas même de Dieu.

Zarathoustra a renié les idées mères. Maintenant, il aura beau avoir de la force et du génie, il n’enfantera que d’autres orgueilleux plus impuissans que lui. Il parle bien de ses dis-