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« mieux », savons-nous mieux voter qu’au premier jour ?

Et, d’autre part, toute éducation, même dite mutuelle, suppose quelqu’un qui veuille bien enseigner et quelqu’un qui veuille bien apprendre. Dans l’égalité absolue, l’éducation est impossible ; et qui se résignera à apprendre ? qui se dévouera, — ou se risquera, — à enseigner ? Où sont les influences sociales ? les influences fixes et sûres, celles qui s’exerçaient d’elles-mêmes, tacitement et de proche en proche, par le seul fait de la position acquise ? Où est la « hiérarchie sociale » ? Qui donnera, et qui recevra un conseil ? Qui l’offrira, et qui le demandera ? Qui l’apportera, et qui le supportera ? Il n’y a plus que des électeurs : tout citoyen est électeur, tout électeur est souverain, tout souverain se gouverne et gouverne à sa guise ; nul n’est plus souverain, plus électeur, plus citoyen que nul autre, et comme nul autre n’a à apprendre, nul non plus n’a à enseigner.

Au résumé, si l’éducation du suffrage universel doit faire l’objet de tous nos vieux, ni l’école seule, ni la presse seule, ni, seules, les associations libres, ni le suffrage universel, se développant et s’éclairant par sa force intrinsèque, ne peuvent l’entreprendre avec chance de succès. Réunies, l’école, la presse et les associations libres y arriveraient-elles, que, les générations se succédant, l’œuvre serait sans cesse à recommencer. Et persevérât-on, recommençât-on toujours, que ce ne serait pas encore assez. Le suffrage universel, amendé par l’éducation et fait par elle plus viril, serait préférable, incomparablement, à ce suffrage universel brutal, enfantin et barbare : mais, encore et toujours, le même problème s’imposerait, et encore et toujours s’imposerait la même solution. « Élever » le suffrage universel ne dispenserait pas de l’organiser. L’éducation du suffrage universel rendrait vraisemblablement plus facile, mais à peine moins urgente et ne rendrait pas moins nécessaire l’organisation du suffrage universel ; et celle-ci demeurerait supérieure à celle-là, d’autant que le corps vivant est supérieur à de la matière dégrossie.


Le vote obligatoire.

Une deuxième plaie du suffrage universel inorganique, c’est le grand nombre des abstentions. Elles atteignent des proportions telles qu’on a pu voir des Chambres ne représenter certainement qu’une minorité, par rapport au total des électeurs inscrits. Pour nous en tenir au passé, les statistiques officielles déclarent, aux élections d’octobre 1889 (et l’on se rappelle combien à ce moment les passions politiques étaient montées et combien la lutte était vive) une moyenne de 76,6 votans pour 100 électeurs portés sur