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correspond mieux à l’état de nos mœurs, de nos esprits et de nos consciences. Notre civilisation occidentale, telle qu’elle est, ne s’accommoderait plus du vote public, bon pour des races qui n’en sont point au même degré que nous : aussi ne le trouve-t-on qu’au nord et au sud-est, à la lisière de cette civilisation, dans les marches de l’Europe moderne, au Danemark, en Hongrie.

Il veut une franchise plus rude que la nôtre et nous coûterait trop de courage civique. On se plaint du nombre des abstentions, sous le régime du vote secret ; mais, si le vote était public, il dépasserait le nombre des votans, et nous tomberions d’un mal dans un pire. Tout autour de nous on l’a bien compris, et plus les législations sont récentes, plus elles entourent de précautions minutieuses le secret du vote. L’Angleterre, mère des parlemens, n’oblige plus le citoyen à affronter le grand jour des hustings. Les Belges se vantent d’avoir porté le vote secret à sa perfection. L’électeur belge entre dans l’ « isoloir » et y demeure seul avec sa « souveraineté », avec sa liberté, sa responsabilité, et le reste, En Grèce, il y a autant de boîtes ou d’urnes que de candidats ; l’électeur passe devant toutes et dépose un oui ou un non dans chacune : bien entendu, au dépouillement, il n’y a que les oui qui doivent compter. La Suisse, qui est une nation, non de ce temps, mais de plusieurs temps, mêle et pratique tous les modes, depuis le vote à main levée et par acclamation dans les landsgemeinden des cantons primitifs jusqu’au vote secret, par bulletins, en matière fédérale.

Que l’on ne s’y méprenne donc pas. Lorsque, dans certains pays, comme en Suisse, le suffrage universel se comporte mieux que dans d’autres, ce n’est point parce que le vote est secret ou public (puisqu’il y est tantôt secret et tantôt public) ; c’est parce que la Suisse est la Suisse, et que des institutions locales de tout genre, — politiques et économiques, — de la commune avec son active et robuste vitalité, au canton et à la Confédération des cantons — y sont autant d’écoles et d’organes de démocratie, organisant spontanément, et presque physiquement, en chaque citoyen, comme par hérédité, par aptitude transmise, le suffrage universel inorganique. — Mais, quel que soit le mode usité, les résultats ne varient pas sensiblement ; ni le vote le plus secret, ni le vote le plus public n’améliore guère le suffrage universel si, en droit et de fait, il est et se maintient absolument inorganique.

Limitation des dépenses électorales.

La substitution du vote public au vote secret devait surtout, dans la pensée de John Stuart Mill, prévenir la corruption du