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m’exaucera en touchant le cœur de ces Messieurs, afin qu’ils nous épargnent et qu’ils aient compassion de nous ; autrement, ils me tueront en même temps que vous. Je crois que si ces bons seigneurs voyaient mes larmes, quand ils seraient de pierre, ils auraient pitié de moi ; aussi, lorsqu’il ne me restera plus d’autre moyen, j’emploierai celui-là, quoique vous m’écriviez de n’y point recourir. » Et pour que désormais le coupable ne revienne plus sur un sujet qui doit lui coûter, elle ajoute en finissant : « N’écrivez plus : votre indigne mari, car tout est oublié[1]. »

On aurait pu croire que, tenant en son pouvoir l’auteur de l’affront qui lui avait été fait, la famille de Nassau chercherait à s’en débarrasserait plus vite. Mais une politique plus avisée lui commandait de ne pas céder à ce désir de vengeance. Guillaume de Nassau, par sa propre conduite, avait donné prise à la critique, et comme au moment où il allait de nouveau recommencer la lutte contre les Espagnols il avait besoin de toute son autorité, il sentait le fâcheux effet que produirait la divulgation d’un scandale que ses ennemis ne manqueraient pas d’exploiter contre lui. D’accord avec ses frères, les comtes Jean, Louis et Henri, il résolut de faire le silence sur les événemens qui venaient de se passer et, en laissant la vie à celui qui l’avait offensé, de représenter son emprisonnement comme motivé par ses menées politiques. La menace faite par Maria Pypelincx de divulguer le secret si on ne respectait pas la vie de son mari contribua donc à le sauver. Mais ce résultat étant acquis, elle devait maintenant travailler à rendre moins dure son incarcération, en attendant qu’elle pût obtenir sa mise en liberté. Afin de ne pas indisposer contre elle la famille de Nassau, elle prit l’engagement de ne confier à aucun des siens ce secret qui l’oppressait. Elle était donc condamnée à montrer au dehors un visage tranquille, et dans ses entretiens avec ses proches ou dans les lettres qu’elle leur adressait, elle affectait la confiance certaine que son mari lui serait bientôt rendu. Au lieu d’alarmer ses parens, qui, malgré toutes les précautions prises, n’étaient pas sans soupçonner qu’il y eût sous roche quelque grave affaire, elle s’appliquait à les rassurer. « C’est un effort de tous les instans, écrit-elle au prisonnier, de paraître gaie avec la mort dans l’âme ; mais je fais le possible. » Dans sa détresse, elle cherche de tous côtés quel secours elle peut invoquer. Elle s’adresse à la princesse Juliane, la mère des Nassau, tâchant de faire naître dans son cœur quelque pitié pour elle. Elle fait plus encore, et sans s’arrêter aux répugnances qu’il lui faut vaincre, elle se résout à la démarche qui

  1. Bakhuysen van den Brink, Het Huwelyk van Willem van Oranje met Anna van Saxen, p. 164.