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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/915

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génération, ils suffisaient à inonder le monde. Les progrès de la fabrication dans l’Amérique du Nord étaient déjà une menace nouvelle assez effrayante : aujourd’hui les Anglais ont affaire à une compétition toute récente, née, par une singulière ironie des choses, sur une terre britannique, la compétition des manufactures de l’Inde. Mais le phénomène n’intéresse pas seulement le Lancashire, il a une signification économique générale et vaut d’être examiné. Il est très exact, en effet, que la grande industrie, celle qui se sert de moteurs mécaniques, a commencé depuis une dizaine d’années à prendre dans l’Inde une place de quelque importance à côté de la petite industrie manuelle et domestique qui avait jusqu’alors suffi à tous les besoins du marché intérieur.

Cette évolution a été marquée surtout dans les industries textiles, et, parmi celles-ci, pour le jute et le coton. En 1893 l’Inde possédait 141 manufactures pour la filature et le tissage du coton, représentant 28 000 métiers et 3 600 000 broches, consommant 1 170 000 balles de coton et employant 120 000 personnes. Ces établissemens appartiennent, pour la plupart, à des compagnies par actions, dont Les titres et l’administration sont entre les mains de capitalistes indigènes. Des princes indépendans, comme les rajahs d’Indore, de Baroda, commanditent des filatures. Ces entreprises sont prospères et donnent des dividendes atteignant en moyenne 10 pour 100. Les principaux débouchés pour leurs produits sont la Chine et le Japon[1], mais en ce dernier pays l’Inde rencontre déjà à son tour la concurrence active, et qui sera victorieuse à bref délai, des filatures locales. Les fabricans de l’Hindoustan vendent surtout leurs cotonnades sur la côte orientale d’Afrique. Avec des filés anglais, plus fins que ceux qu’ils produisent eux-mêmes, et du coton égyptien, ils commencent à aborder le tissage de qualités supérieures[2]. Si les progrès accomplis jusqu’à présent ont ainsi une réelle importance, il convient de ne pas les exagérer, car l’Angleterre possède près de vingt-cinq fois plus de métiers et de quinze fois plus de broches

  1. Les exportations de filés cotons de l’Inde pour la Chine et le Japon se sont élevées, de 8 millions de livres anglaises en 1877 à 189 millions en 1893.
  2. Les importations de machines et matériel de filatures au Bengale, en 1894, accusent, une augmentation de 20 pour 100 sur les chiffres de 1893. Dans une conférence bimétalliste faite le 8 mai à Londres à la London Institution, M. Herbert C. Gibbs a dit que la seule industrie vraiment prospère actuellement en Angleterre est celle qui alimente, en machinerie pour la fabrication des textiles, les nations concurrentes, et il citait le chiffre de 270 millions de francs comme représentant les ventes de matériel de en genre faites par la Grande-Bretagne en l’espace des deux années 1893 et 1894, dont les trois quarts pour l’Europe et les États-Unis, et le reste pour los pays d’Extrême-Orient. Il peut n’être pas tout à fait, indifférent de noter qu’une manufacture de jute et, une usine pour la filature du coton ont été récemment installées sur le territoire français de Chandernagor.