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proportionnelle les explications exactes, mais trop exclusives, que les économistes de doctrine en veulent donner, la dépréciation de l’argent par exemple ou l’abus du protectionnisme. Ces causes ont eu leur action partielle, mais il en est d’autres plus profondes, comme le disait il y a un mois un membre du gouvernement à la Chambre de commerce de Nantes, et qui sont d’une nature telle, que le commerce et l’industrie devront se soumettre à une véritable révolution dans leur production et dans leur façon d’écouler leurs produits au dehors. M. André Lebon a montré que des places entières, qui étaient des marchés d’exportation pour nos produits, deviennent des marchés de production : « Il y a cette immense République américaine qui se suffit désormais à elle-même et devient un pays exportateur. Il y a là-bas, en Extrême-Orient, un pays déjà avancé en civilisation, le Japon, qui, grâce aux conditions de sa main-d’œuvre, avant dix ans se suffira complètement à lui-même et deviendra exportateur. Il y a partout une modification profonde dans les conditions de la production économique. La situation exceptionnelle dont nous jouissions autrefois n’existe plus. »

Le ministre du commerce a donné à ses auditeurs des conseils judicieux, comme de démocratiser notre industrie, restée la plus aristocratique du monde, ce qui s’entend pour la nature et la qualité des produits ; comme aussi de varier ses modèles, de créer des types plus conformes au goût des cliens étrangers ; d’aller solliciter les acheteurs sur leur propre marché, plutôt que d’attendre d’être sollicité par eux ; enfin de déployer plus d’activité qu’il n’était nécessaire au bon vieux temps : « Si votre initiative ne vient pas seconder la nôtre, a dit M. Lebon en terminant, si vous ne voulez pas renoncer à certaines habitudes et à la tranquillité qu’elles vous assuraient, pour poursuivre la lutte économique sur les marchés étrangers que l’âpreté et la ténacité qu’y apportent nos concurrens tendent à vous fermer, ce n’est pas la peine de faire de grands travaux, de créer des voies, de creuser des ports, de modifier les tarifs, de donner des subventions, de remuer nos consuls : l’industrie ne sortira pas de l’état d’immobilité où elle est aujourd’hui. »

Quoi qu’en dise M. Lebon, la dénonciation des traités de Commerce, en bouleversant les relations avec l’étranger, en stimulant l’activité industrielle de nos concurrens, a eu malheureusement sa grande part dans l’intensité qu’a prise, en ce qui concerne notre industrie, la crise générale. Nos remaniemens de tarifs ont créé une instabilité qui paralysait tout progrès, et nous avons spontanément suscité des concurrences dangereuses chez nos propres voisins, à nos portes, en Espagne, en Italie, en Suisse. Que,