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redite, il se développe, beau de toutes les beautés qui font décidément de la musique palestinienne la musique religieuse par excellence, la divine musique. Nous-même en ce moment, après tant de jours passés dans l’enchantement de la mélodie, de la plus magnifique et la plus touchante, celle des Pergolèse et des Marcello, il nous plaît de revenir un instant au vieux maître de l’harmonie et de goûter une dernière fois l’infinie douceur des consonances inaltérées. Le Stabat de Palestrina est écrit pour deux chœurs à quatre voix, tantôt alternés, tantôt réunis. Dès le premier verset ils se répondent. Des accords, puis des accords, et des accords toujours s’enchaînent ; toujours parfaits, leur perfection successive s’engendre pour ainsi dire elle-même à l’infini. Ils flottent longuement et lentement ils descendent, comme feraient des voiles légers, des brunies ou des ombres. Ils créent autour de nous une atmosphère, un asile où l’âme en repos, en solitude et en sûreté, s’enveloppe de tendresse et de mélancolie. Bien que cette mélancolie et cette tendresse se soutiennent jusqu’au bout, Palestrina pourtant a rompu ici avec la monotonie du chant liturgique. Il a introduit dans la longue complainte tout ce que la forme de la polyphonie vocale comporte de variété, de liberté même. Musique avant tout intérieure et contemplative, avons-nous dit naguère. Il faut le redire devant ce dernier chef-d’œuvre de contemplation et d’intériorité. Sans jamais s’emporter au dehors, sans quitter le domaine inviolé de la méditation et de la prière, cette musique arrive à surprendre et à noter les moindres mouvemens, les nuances les plus délicates. Ouvrons le Stabat palestinien à ce tercet :

Vidit suum dulcem natum
Moriendo desolatum,
Dum emisit spiritum.

Nous trouvons sur les derniers mots une explosion presque dramatique, un échange entre les deux chœurs d’accords sonnant à pleines voix, unis pour finir dans un majeur éclatant. Lisons encore :

Eia ! Mater, fons amoria.
Me sentire vim doloris
Fac ul tecum lugeam.

« O mère, source d’amour, faites que je sente la force de votre douleur, faites que je pleure avec vous ! » — Que voyons-nous ici ? Une légère altération de rythme : changement de la mesure à quatre temps en mesure à trois temps ; la carrure par conséquent détruite, le mouvement soudain ralenti ; enfin l’éclat des