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Sous cet aspect pourtant, la Croatie intéresse à bien des égards. L’histoire de sa constitution, sa constitution elle-même, découvrent la source psychologique des conflits de race, la diversité des tempéramens qui nous apparaissent, le Magyar, dans la plénitude de ses appétits et de ses ressources, le Slave, à l’état pour ainsi dire occidental et isolé. Derrière la question croate, on voit poindre la nouvelle question d’Orient, l’évolution lente et chaotique des Jugo-Slaves vers l’unité, je ne sais quelle rosée d’avenir qui fertilisera ces vieux champs de bataille de la chrétienté et de l’Islam. Au premier plan, et déjà acquises à l’histoire, des figures puissantes ou originales : Strossmaier, expression unique et harmonieuse du génie slave-latin ; Mazuranic, le ban national poète ; Starcevic, la première organisation démocratique de son pays. Dans le lointain, des foules colorées, de vieilles mœurs, des lucidités surprenantes alternées d’enfantillages, des enthousiasmes rythmés sur des chansons presque lugubres, l’arrière-garde des invasions ottomanes, la Bosnie et ses minarets enchâssés dans la patrie jugo-slave, champ de cimetières chrétiens de la cathédrale de Djakovo à Saint-Blaise de Raguse. — Foulée de souvenirs ; monde qui s’élabore ; peuple qui attend.

C’est en 1860, après la guerre d’Italie et la chute du ministère Bach, que se présenta, pour la Croatie, le passage difficile de la vie traditionnelle aux expériences parlementaires. Une diète fut réunie à Agram, comme dans tous les centres de la monarchie, sorte de Constituante consultative dont la composition, d’ailleurs, était réglée par le diplôme de convocation.

L’objet qui la préoccupa d’abord, et duquel dépendaient, du reste, les solutions ultérieures, consistait moins à dresser une liste de garanties constitutionnelles qu’à préciser la nature du lien qui rattachait le pays à la couronne. Nul ne contestait le souverain ; mais en quelle qualité serait-il reconnu pour tel ? Ce n’était pas une question de mots. Si la Diète ne voulait voir dans sa personne que le roi de Croatie, elle réclamait l’autonomie, solidaire, ou peu s’en faut, de l’établissement dans tout l’empire du système fédératif, dont, à ce moment même, Strossmaier plaidait l’opportunité au Reichsrath de Vienne. C’était la solution doctrinale et ambitieuse. — Si la Diète y renonçait, il lui fallait opter entre l’empereur d’Autriche et l’héritier de la couronne de Saint-Étienne, et accepter les conséquences d’un protectorat politique : l’allemand ou le magyar.

La majorité de la Diète penchait à l’autonomie. C’était justement celui des trois partis sur lequel, au fond, on ne la