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VI

Le magyarisme, depuis la mort de Mazuranic, non seulement dispose de l’autorité en Croatie, mais n’a jamais rencontré qu’une opposition désunie, il a d’ailleurs été servi par un instrument inflexible, le comte Kuben-Hédervary, ban depuis 1883.

Le comte Hédervary, — qui a déjà été appelé par deux lois, notamment après la chute de M. Weckerlé, à former un cabinet et à en prendre la présidence, — réussit mieux à étendre les conquêtes artificielles de la Hongrie qu’à lui procurer des ministères. Il est jeune, actif, intelligent, charmeur même, assurent ceux qui l’ont approché. A Pesth, on le tient pour un homme d’Etat. Son mariage avec la nièce de M. Tisza n’a certainement pas nui à sa carrière, ni au crédit, presque illimité dont il jouit dans les hautes sphères politiques de la Transleithanie. En Croatie, il est redouté des fonctionnaires, dont il tranche ou modifie les destinées ; courtisé par l’aristocratie, qui reconnaît en lui un des siens ; maître des élections, qu’il pétrit d’une main alternativement habile et rude ; dédaigneux du peuple, auquel il se considère comme doublement supérieur, et par la race, et par la caste. Il eût dépendu de lui d’être une manière de bon tyran : les patriotes s’accordent à le dénoncer comme un tyran sans épithète. La part faite à l’exagération naturelle aux administrés, il apporte probablement à son rôle un trop petit nombre de scrupules pour avoir le droit d’être plus scrupuleusement jugé.

Ses débuts furent marqués par une épreuve caractéristique, qui ne contribua certainement pas à humaniser ses relations avec le parti national. Quoiqu’elle remonte à une douzaine d’années, elle fait encore la joie de ses adversaires. Un coup de main la lui attira. Ce coup de main provoqua un coup de pied.

Il s’était avisé de faire rassembler, une nuit, et entasser dans un wagon, à destination de Pesth, certaines archives d’Etat, touchant l’histoire et le droit politique de la Croatie, qu’en avait rapportées Jellacic, en 1849, — d’accord, du reste, avec le gouverneur impérial. Ce procédé peu parlementaire lit sensation à Agram. A la Diète, il y eut interpellation. Hédervary se montra hautain, convint du fait, et ajouta que cette réintégration nocturne s’imposait, les Croates étant « de mauvaise foi » en possession de ces documens. À ce mot, la discussion dégénéra en bagarre. Le ban fut bousculé et reçut, affirment les Croates, du neveu de Starcevic, un coup de pied des plus immodestement placés. En tous cas, il y eut procès. Gros scandale, mais réparation difficile. Le