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établissement à Madagascar, les Anglais jetaient l’argent à pleines mains pour nous en chasser.

C’est toujours l’infatigable et persévérant sir Robert Farquhar, gouverneur de l’île Maurice, que nous trouvons à la tête de ce mouvement. Pour rendre hostiles aux Français les populations malgaches, il n’épargnait ni l’or ni les cadeaux, et les dépenses faites à ce dessein sous son administration par la colonie de Maurice s’élevèrent de 1815 à 1826 à 64 278 livres sterling (1 349 000 francs)[1]. Soutenue par de telles largesses, sa propagande antifrançaise réussissait à merveille, et l’habile gouverneur parvenait à nous aliéner la plus puissante des tribus indigènes de l’île, celle des Hovas. A son instigation, le chef de cette tribu se proclama souverain de l’île entière, et, accompagné de M. Hastey, agent anglais accrédité près de lui, d’un officier du génie anglais, et de quelques autres militaires de même nation, porta la guerre sur les territoires de tous les chefs de la côte qui semblaient disposés à se soumettre à l’influence française. C’est ainsi qu’en 1823 il dispersa la tribu qui occupait les abords de la rade de Tintingue, point sur lequel se portaient précisément à la même époque les vues du ministère français.

Ces manifestations hostiles, provoquées par le gouverneur anglais de Maurice, excitèrent en France, au ministère de la marine, une certaine émotion, et en 1824 le ministre, le marquis de Clermont-Tonnerre, pria son collègue des affaires étrangères de demander au gouvernement anglais des explications sur la conduite équivoque de ses agens.

Le portefeuille des affaires étrangères était alors aux mains de l’homme illustre, de l’auteur admiré et adulé du Génie du Christianisme qui se vantait de pouvoir faire marcher de front la littérature et la politique, et qui écrivait avec peu de modestie dans ses Mémoires d’outre-tombe : « Mon esprit se plie facilement à ce genre de travail ; pourquoi pas ? Dante, Arioste, et Millon n’ont-ils pas aussi bien réussi en politique qu’en poésie ? » Et il est de fait que, dans la réponse qu’il adressa au ministre de la marine, Chateaubriand se montra politique aussi avisé qu’il était grand écrivain :


Je n’avais pas perdu de vue, disait-il, l’objet de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 9 octobre dernier relativement aux difficultés que les autorités de l’île Maurice paraissent nous susciter sous main de la part des insulaires de Madagascar. Je m’étais empressé d’en écrire à notre ambassadeur à Londres, M. le prince de Polignac, et de le prier d’obtenir du ministre anglais, autant que le sujet pourrait le permettre, des

  1. Rapport présenté à la Chambre des communes le 10 juillet 1828 (Asiatic Journal, mars 1829).