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présenté à M. Canning une note au sujet de certains établissemens que les sujets de Sa Majesté Très Chrétienne avaient précédemment tenté de former sur les côtes de Madagascar… Il ne paraît pas qu’aucun obstacle ait été mis par les autorités anglaises de l’île Maurice à la reprise de possession par la France de ses anciens établissemens. Les entraves que les autorités françaises ont éprouvées paraissent évidemment leur avoir été opposées par quelques-unes des tribus guerrières et indépendantes de cette île… Quant à des présens à des habitans du pays que l’on dit être habillés et armés à l’anglaise et aux munitions, etc. que l’on (prétend avoir été fournies par le brick le Wizard, le gouvernement de Sa Majesté ne peut ajouter autre chose, sinon que ces articles ont été fournis aux Madécasses par suite d’un commerce ouvert et légal qui a toujours été d’usage et de droit entre nations indépendantes[1].


Au reçu de ce curieux et édifiant mémoire, notre ministre des affaires étrangères, Chateaubriand, s’empressa de le transmettre à son collègue de la marine, le marquis de Clermont-Tonnerre, en l’accompagnant de ces judicieuses observations :


Monsieur le marquis, j’ai l’honneur de vous envoyer ci-joint la traduction d’un mémorandum adressé par M. Canning à M. le prince de Polignac, en réponse à une note du 6 décembre dernier relative à la situation de nos établissemens sur la côte de Madagascar. Vous y verrez, monsieur le marquis, que dans ma lettre du 12 mars j’avais pressenti une grande partie de ce qui est arrivé. Quoique la réponse de M. Canning, loin de dissiper, doive au contraire fortifier les doutes sur les manœuvres des agens anglais auprès des chefs insulaires, il est néanmoins possible d’en tirer des inductions utiles. Elle doit par cela même éclairer le gouvernement du Roi et le fixer sur les mesures qu’il jugera convenable de prendre. En se représentant comme tout à fait désintéressée dans nos rapports, quels qu’ils soient, avec les naturels du pays, l’Angleterre nous laisse maîtres d’agir avec eux comme nous l’entendons. Je ne puis d’ailleurs que m’en référer aux considérations que j’ai rappelées dans ma lettre du 12 mars sur les moyens d’influence dont il me semble utile de faire usage[2].


Sous l’œil bienveillamment fermé du ministère anglais, le gouverneur de Maurice continuait en toute sécurité sa propagande antifrançaise, et déjà les résultats de ses largesses se faisaient puissamment sentir. Se voyant soutenu en secret par une puissance européenne, le chef hova Radama était devenu tout à coup d’une audace inouïe. Un poste français, composé de quelques hommes commandés par un sous-lieutenant, M. de Grasse-Briançon, du 16e léger, avait été établi à Fort-Dauphin. En aucun temps les Hovas n’avaient exercé d’autorité, jamais même ils n’avaient paru sur ce point. En 1825 un agent de Radama, à la tête de plusieurs milliers d’hommes, envahit tout à coup la contrée, cerna le poste français, fit tous les hommes prisonniers et força un navire île commerce à les reconduire à Bourbon.

  1. Mémorandum du 19 avril 1824, Archives coloniales.
  2. Lettre du 11 mai 1824, Archives coloniales.