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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/37

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arriver le général Boulanger au pouvoir à quelque titre que ce soit, ni comme président de la République, ni même comme président de la Chambre. Si donc votre désir est qu’il y arrive, dites-le-moi bien franchement, je vous en supplie, et je ne me présenterai pas. Rien n’est plus simple, et du reste, le sacrifice ne sera pas grand, car j’ai peu de chances d’être nommé.

« — Mais tranquillisez-vous donc ! me répondit-il avec la voix un peu impatiente que je lui connaissais lorsqu’on le forçait à répéter plusieurs fois la même chose. Je vous affirme de nouveau que je n’ai aucune intention de faire arriver le général Boulanger au pouvoir, et vous pourrez voter contre lui tant que cela vous fera plaisir sans vous mettre en opposition avec moi. Au surplus, je ne vous en voudrais jamais de voter suivant votre conscience ; mais il ne sera nullement nécessaire de faire du général Boulanger un président de la République éphémère pour arriver à se débarrasser de la République elle-même. »

Alors il m’expliqua par quel expédient une majorité monarchique, disciplinée et bien conduite, pourrait contraindre M. Carnot à se soumettre ou à se démettre, comme les républicains y avaient autrefois contraint le maréchal de Mac-Mahon, et proposer à la ratification du pays le rétablissement de la monarchie. L’expédient, qu’il est inutile de rapporter ici, me parut d’un succès très incertain. Je persistai donc dans mon avis, et j’y persiste encore, car je demeure persuadé que, si les monarchistes, en majorité dans l’Assemblée, avaient refusé de porter le général Boulanger au pouvoir, il se serait emparé du pouvoir malgré eux, en soulevant la rue contre l’Assemblée. Je ne viens donc pas dire aujourd’hui que M. le Comte de Paris ait eu raison, après m’être permis de lui dire autrefois qu’il avait tort. Je me suis même souvent demandé comment, avec son esprit si juste, il avait pu s’embarquer dans une entreprise qui répugnait autant à sa nature. Voici la seule explication que j’en puisse trouver, et cette explication est pour moi une certitude. À ce moment de sa vie M. le Comte de Paris ne pouvait encore pardonner à ceux qui l’avaient exilé. Ils l’avaient mis hors la loi : à ses yeux, ils étaient hors la loi à leur tour. Un instrument s’offrit à lui pour les atteindre : il le ramassa, c’est l’expression même qu’il a employée, là où il l’avait trouvé, et il crut avoir le droit de s’en servir pour frapper d’un coup mortel ceux qui l’avaient lui-même frappé en plein cœur. Ce n’étaient, suivant lui, que légitimes représailles, et cette erreur, cette faute si l’on veut, qui lui ont été si durement reprochées, n’ont été que l’erreur et la faute d’un patriotisme ulcéré.