Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’armée de Charles VIII au moment où elle quittait le château de Capodimonte pour regagner Rome. Le roi très chrétien la fit remettre en liberté sans délai, mais Borgia conçut une vive irritation contre le cardinal et le dépouilla peu après de sa légation. Farnèse dut attendre sept ans avant d’obtenir son pardon et d’être envoyé comme légat à Ancône. Légations ou disgrâce le retinrent donc loin de Rome pendant la plus grande partie du règne d’Alexandre, ne lui laissant ni le temps ni la liberté d’esprit nécessaires pour mener à bien la restauration de son palais. Il y a pourtant apparence que les principaux personnages de la cour pontificale se donnèrent plus d’une fois rendez-vous, aux jours défaveur, dans l’appartement du jeune cardinal. On dit que les murs ont des oreilles ; s’ils pouvaient parler, ceux du vieux palais auraient eu apparemment de piquantes anecdotes à conter sur l’éblouissante Giulia Farnèse et son inséparable amie Lucrèce Borgia, sur Adrienne Mila, la cousine complaisante du pontife, sur le malheureux duc de Gandia et sur son frère, le terrible César.

L’avènement de Jules II sonna l’heure de la délivrance pour l’aristocratie romaine. Le second Rovere, ayant entrepris la tâche ardue d’assurer sur des bases solides l’indépendance du Saint-Siège et la liberté de l’Italie, jugea prudent de réconcilier au préalable avec le pontifical, les grandes familles qu’Alexandre VI avait si cruellement frappées. Il cimenta des unions matrimoniales entre sa maison et celle des Orsini et des Colonna. Rien plus, oubliant la haine farouche qui l’animait naguère contre tout ce qui portait le nom de Borgia, il alla jusqu’à unir son neveu Niccola della Rovere à dona Laura Orsini, nièce du cardinal Farnèse, en dépit des bruits qui couraient sur l’irrégularité de sa naissance.

Tout conviait Farnèse à donner libre carrière à ses goûts innés pour la magnificence. Le pape ne trouvait-il pas, en effet, au milieu de ses entreprises les plus hasardeuses, le temps de poursuivre les travaux grandioses qui devaient faire de Rome, à brève échéance, une ville nouvelle ? D’autre part, le crédit du cardinal prenait chaque jour plus de consistance. Sa situation à la cour du pape s’accroissait à tel point que, peignant la fresque de la Remise des Décrétales dans la chambre de l’Ecole d’Athènes, Raphaël fit intervenir Alexandre Farnèse derrière Jules II, sur le même plan que Jean de Médicis, le futur Léon X. Riche, couvert de dignités, déjà renommé pour sa prudence, le frère de la belle Giulia était devenu insensiblement un des personnages les plus considérables de Rome, Il avait sa